[TRIBUNE]: Aperçu sur la cartographie des risques inhérents à la pratique de l'activité de microfinance en zone CEMAC

Quelles circonstances ou événements peuvent produire des conséquences défavorables sur la situation de l’Etablissement de microfinance , en menaçant notamment la réalisation des objectifs établis par les organes délibérant et exécutif ? La réponse dans cette nouvelle chronique du juriste d’affaires et praticien, Boris Minlo Enguele… 

La cartographie des risques peut se définir comme la démarche d’identification, d’évaluation, de hiérarchisation et de gestion des risques inhérents aux activités d’une organisation. Il s’agit d’un levier indispensable de gestion des risques permettant d’appréhender l’ensemble des facteurs susceptibles d’affecter les activités et leur performance. On observe toutefois que, pour ce qui concerne les activités strictement régulées, le législateur se veut très avant-gardiste dans l’énumération des différents risques susceptibles d’impacter la pratique desdites activités.

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Aux termes de l’article premier du nouveau Règlement n°01/17/CEMAC/UMAC/COBAC relatif aux conditions d’exercice et de contrôle de l’activité de microfinance dans la CEMAC, la microfinance est définie comme une activité exercée par des entités agréées (…) qui pratiquent à titre habituel, des opérations de crédit et/ou de collecte de l’épargne et offrent des services financiers spécifiques au profit des populations évoluant pour l’essentiel en marge du circuit bancaire traditionnel.

Comme activité financière par nature, l’activité de microfinance est marquée par un certain nombre de risques à même d’impacter négativement sur la stabilité de tout le système financier. Pour la Commission bancaire d’Afrique Centrale (COBAC), le risque est une circonstance ou un événement qui peut produire des conséquences défavorables sur la situation de l’Etablissement de microfinance et, en particulier, qui menace la réalisation des objectifs établis par les organes délibérant et exécutif (V. article 3 du Règlement COBAC EMF R-2017/06 relatif au Contrôle interne dans les Etablissements de microfinance).

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Une démarche de prophylaxie a conduit le Régulateur à identifier 6 principaux risques inhérents à la pratique de l’activité de microfinance et qui doivent faire l’objet d’une gestion préventive et pertinente.
En effet, la gestion des risques s’intègre parfaitement dans leur cartographie et nécessite au-delà des processus d’identification, d’évaluation et de contrôle, un suivi substantiel aux travers de propositions de solutions à même d’assurer une bonne anticipation et une meilleure
maîtrise des risques.

Typologie des risques

Ainsi, des normes prudentielles édictées par la COBAC, il ressort que les Etablissements de microfinance doivent se doter d’outils adéquats capables d’assurer le management des principaux risques suivants :

  • Le risque de crédit : il s’agit du risque encouru en cas de défaillance d’une contrepartie ou de contreparties considérées comme un même bénéficiaire au sens de l’article 7 du Règlement COBAC EMF 2002/08 relatif à la division des risques. A notre sens, assurer la maîtrise du risque de crédit revient à procéder à une meilleure structuration des engagements notamment par l’intégration des sûretés pertinentes à l’instar du pacte commissoire, de la cession de créance à titre de garantie, de la certification de la caution et du transfert fiduciaire de somme d’argent.
  • Le risque d’illiquidité : il s’agit du risque pour l’Etablissement de ne pas pouvoir faire face à ses engagements ou de ne pas pouvoir dénouer ou compenser une position. Ce risque peut être maîtrisé avec la technique de la titrisation des créances bancaires dans le cadre d’un système bilatéral de négociation. En effet la titrisation est un montage financier visant à transformer des créances en titres échangeables contre des liquidités. Les créances constituent des actifs illiquides tandis que les titres représentent des actifs liquides, librement négociables et échangeables. Dans le cadre d’un système bilatéral de négociation entre deux Etablissements de crédit, les créances (saines) de l’un peuvent être acceptées par l’autre contre des liquidités naturellement abaissées à une valeur inférieure compte tenu du transfert du risque de recouvrement qui pèsera désormais l’Etablissement cessionnaire.
  • Le risque de change : il s’agit du risque encouru du fait de l’évolution du cours des devises sur les opérations de bilan. Ce risque paraît difficile à maîtriser étant donné que les fluctuations du cours des devises sont principalement dépendantes des marchés financiers. Toutefois, nous pensons qu’un plafonnement des opérations extérieures notamment de transfert d’argent hors zone CEMAC tel que prescrit par la nouvelle réglementation de change peut assurer un très bon management de ce risque.
  • Le risque de non-conformité : il s’agit du risque de sanction judiciaire, administrative ou disciplinaire, de perte financière significative ou d’atteinte à la réputation, qui naît du non-respect de dispositions propres aux activités bancaires et financières, qu’elles soient de nature législative ou réglementaire, ou qu’il s’agisse des normes professionnelles et déontologiques, ou d’instructions de l’organe exécutif prises notamment en application des orientations de l’organe délibérant ou non. Dans le paradigme de la ‘’ compliance ‘’, l’obligation de conformité aux exigences et normes prudentielles du régulateur, apparaît de plus en plus comme un impératif de santé financière et de réputation pour les Etablissements de microfinance. Le risque de non- conformité peut être maîtrisé par la mise en œuvre d’un programme inclusif de conformité s’appuyant sur une bonne exégèse réglementaire.
  • Le risque opérationnel : il s’agit d’un risque résultant notamment d’insuffisances de conception, d’organisation et de mise en œuvre des procédures d’enregistrement dans les systèmes d’information de l’ensemble des événements relatifs aux opérations et plus particulièrement aux opérations comptables. Ce risque peut être maîtrisé par la mise sur pied d’un dispositif pertinent de contrôle interne subdivisé en deux lignes de défense : une première ligne constituée des opérationnels chapeautés par les contrôleurs permanents et une seconde ligne constituée d’une Division de l’audit interne, indépendante et directement rattachée à l’organe délibérant.
  • Le risque juridique : il s’agit de tout litige avec une contrepartie résultant notamment, de toute imprécision, lacune ou insuffisance de nature quelconque susceptible d’être imputé à l’Etablissement de microfinance au titre de ses opérations. L’appréhension du risque juridique passe inéluctablement par la prévention des litiges dans toutes les conventions passées par l’Etablissement, et ce à travers la promotion des modes alternatifs de règlement des litiges (médiation, conciliation, transaction, arbitrage …).

Au vu de ce qui précède, il ressort que l’identification prudentielle des risques inhérents à la pratique de l’activité de microfinance et ainsi opérée par le Régulateur bancaire, apparaît comme la structuration d’un véritable canal de sécurité. Aussi, la cartographie des risques au-delà des processus d’identification, d’évaluation, de classification et contrôle des risques, doit prévoir des mécanismes ingénieux à même d’assurer leur parfait management.

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Pour ce qui concerne la pratique de l’activité de microfinance dans l’espace CEMAC, le régulateur communautaire impose aux EMF de se doter d’outils adéquats à même de garantir la maîtrisé des différents risques à susceptible d’impacter négativement cette activité. Le déploiement de ces outils doit passer par la conception et l’opérationnalisation de montages juridiques et financiers cohérents à même d’affiner l’organisation de la cartographie des risques.

Boris Minlo Enguele