CAMEROUN : La nouvelle loi relative au crédit bancaire : entre avancées et questions !

La Loi n° 2019/021 fixant certaines règles relatives à l’activité de crédit dans les secteurs bancaires et de la microfinance au Cameroun a été promulguée le 24 décembre 2019. Si ce texte est à saluer, il n’en reste pas moins que plusieurs insuffisances se révèlent à l’analyse…Lecture à chaud …

L’article 9 de l’Annexe à la Convention du 16 octobre 1990 portant création d’une Commission Bancaire de l’Afrique Central dispose: « la Commission Bancaire fixe les règles destinées à assurer et à contrôler la liquidité et la solvabilité des établissements de crédit à l’égard des tiers, et plus généralement l’équilibre de leur structure financière ».

L’article 3 al.3. de l’Annexe à la Convention du 17 janvier 1992 portant harmonisation de la réglementation bancaire dans les Etats de l’Afrique Central prévoit en effet que : « L’Autorité nationale a pleine compétence sur les matières autres que celles dévolues à la Commission bancaire ou n’exigeant pas l’avis conforme de celle-ci ». C’est dans ce sillage que la Loi n° 2019/021 fixant certaines règles relatives à l’activité de crédit dans les secteurs bancaires et de la microfinance au Cameroun a été promulguée le 24 décembre 2019.

Cette Loi a été introduite afin de faire face à l’indélicatesse des débiteurs des établissements bancaires. Elle contribuera à juguler augmentation exponentielle des créances en souffrance dans les établissements de crédit et de microfinance. Elle détermine les modalités de conclusion d’une opération de crédit ; les obligations des parties y relatives et le régime des responsabilités en cas de non remboursement.

Contrat de crédit bancaire

En ce qui concerne les modalités de conclusion d’une opération de crédit, la Loi précise les obligations des différentes parties à une convention de crédit. Ainsi toute personne physique ou morale qui sollicite un crédit est tenue de communiquer à l’établissement assujetti les informations permettant d’évaluer sa capacité de remboursement. Elle doit par ailleurs produire à l’établissement assujetti des éléments apportant des précisions sur sa situation financière.

L’établissement préteur est tenu d’offrir aux clients, des produits et services adaptés à leurs besoins, en tenant compte de leur capacité de remboursement afin de prévenir tout risque de non-remboursement ou de surendettement. Il doit fournir toute information de nature à éclairer le consentement de l’emprunteur. L’établissement prêteur doit communiquer le Taux Effectif Global (TEG), le Taux d’usure et le tableau d’amortissement de l’opération de crédit.

On est légitime de penser que la nouvelle loi s’appuie sur le Taux effectif global est prévu par le Règlement N-01/CEMAC/UMAC/CM du 02 octobre 2012 portant sur les dispositions relatives au TEG et à la publication des conditions de banque, avec en annexe une formule de calcul du TEG qui doit obligatoirement  être respecté ainsi que le seuil du taux d’usure en vigueur dans la CEMAC.

L’emprunteur a l’obligation de rembourser le crédit à l’échéance arrêtée dans la convention de crédit. En cas de non-respect d’une échéance de remboursement, l’établissement assujetti adresse une lettre de rappel à l’emprunteur, l’enjoignant de régulariser sa situation dans un délai de trente (30) jours à compter de la date de réception.

Si à l’échéance, l’emprunteur ne régularise pas sa situation, l’établissement assujetti lui adresse une mise en demeure par exploit d’Huissier ou par lettre recommandée avec accusé de réception, l’enjoignant d’honorer son engagement dans un second délai de huit (08) jours, à compter de la date de réception. Si l’emprunteur n’honore toujours pas son engagement, l’établissement assujetti procède à l’arrêté juridique des comptes et engage une procédure légale de recouvrement forcé de la créance due.

Sanction nationale et portée de l’agrément bancaire 

Lorsque le non-remboursement porte sur un crédit assorti d’une sûreté, l’établissement assujetti prêteur peut réaliser la sûreté dans les conditions prévues par l’Acte uniforme OHADA portant organisation des sûretés.
Le non-remboursement de crédit donne lieu, à l’expiration de la mise en demeure non suivie d’effet, à une interdiction de crédit prononcée par un établissement assujetti prêteur. Le régime de l’interdiction de crédit est prononcé par les articles 12 et suivant de la nouvelle Loi. Celle-ci précise également que l’interdiction de crédit peut également être prononcée à titre accessoire par une juridiction saisie d’une infraction de crédit.

On aurait pu questionner l’efficacité de cette interdiction de crédit face à l’agrément unique en vigueur dans la CEMAC. 

De plus, le pouvoir de sanction d’interdiction de crédit attribué à l’établissement de crédit soulève une préoccupation d’équilibre contractuel. En effet, la loi semble attribuer un pouvoir de sanction suffisamment important en faveur d’une partie, la banque. Cet état de chose appelle à surveiller de telles décisions de sanction d’interdiction.

L’un des apports majeurs de la Loi n° 2019/021 est l’introduction de plusieurs infractions de crédit ayant pour principale cible l’emprunteur indélicat. L’article 20 de cette loi dispose : « est punie d’un emprisonnement de six mois à cinq ans et d’une amende de cent mille à cent millions de francs CFA ou de l’une de ces deux peines seulement, toute personne qui, de mauvaise foi, n’a pas remboursé le crédit qui lui a été accordé par un établissement assujetti ».

Le législateur camerounais n’a pas assez défini la notion de mauvaise foi. Dans le texte, il l’a définie comme le comportement de l’emprunteur visant à organiser intentionnellement son insolvabilité. De ce fait la définition en soi existe mais c’est la preuve de l’organisation de l’insolvabilité qui devient difficile à ressortir dans la pratique. Toutefois, retenons qu’il ne s’agit pas à fortiori de sanctionner l’emprunteur indélicat mais, particulièrement celui de mauvaise foi. C’est donc dire que l’emprunteur dont la mauvaise foi n’est pas avérée ne saurait faire l’objet d’une condamnation mais simplement subir les conséquences de l’interdiction de crédit.

L’article 22 de la même Loi dispose qu’ est punie d’un emprisonnement de six (06) mois à trois (03) ans et d’une amende de cent mille (1 00 000) à cinq millions (5 000 000) de francs CFA, ou de l’une de ces deux peines seulement, toute personne qui, avec l’intention de porter atteinte aux droits de l’établissement assujetti, fait usage ou tente de faire usage de faux documents dans le cadre de la conclusion d’une opération de crédit.

D’après l’article 23, « est punie d’un emprisonnement de six (06) mois à trois (03) ans et d’une amende de cent mille (1 00 000) à cinq millions (5 000 000) de francs CFA, ou de l ‘une de ces deux peines seulement, toute personne qui, de manière frauduleuse, entraîne la suppression, la modification des données relatives au crédit ou cause une altération du fonctionnement du système de traitement de ces données ».

On peut s’interroger sur l’opportunité et la portée de ces nouvelles infractions qui participent à la pénalisation de la vie des affaires au Cameroun. Cela est d’autant vrai que les nouvelles infractions créées peuvent rentrer dans certaines catégories d’infractions prévues par le Code pénal camerounais.

Qui protège le client ? 

Les nouvelles infractions visent en particulier l’emprunteur indélicat. Quid de certains comportements frauduleux des établissements prêteurs ? À titre d’illustration, l’établissement assujetti qui, en connaissance de cause, encourage de manière directe ou indirecte une personne en situation de surendettement lui accordant de nouveaux prêts dont la finalité est de rembourser les anciens ne devrait-il pas être sanctionné ? un établissement de crédit qui accorde le crédit à un emprunteur au mépris d’une interdiction de crédit ne devrait-il pas être sanctionné ? Au demeurant, on le sait, le droit commun de la responsabilité contractuelle et délictuelle continue de s’appliquer au banquier.

En dernière analyse, il reste la question de la conformité de la nouvelle loi camerounaise avec le droit international des droits de l’Homme. En effet, l’article 11 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 dispose : « Nul ne peut être emprisonné pour la seule raison qu’il n’est pas en mesure d’exécuter une obligation contractuelle ». Or, le Cameroun est partie à cet instrument depuis le 27 juin 1984. La mise en perspective de cette loi et dudit instrument laisse croire à une position de non respect du droit international par le Cameroun.

En conclusion, attendons de jauger la pertinence de la Loi n° 2019/021 à l’aune de sa mise en œuvre. Toutefois, il est à se questionner quant à savoir si la rigueur de ce texte ne va pas émousser la tendance des emprunteurs à solliciter des crédits et par voie de conséquence renforcer la surliquidité ambiante des établissements de crédit.

DMF

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