[TRIBUNE]: Coronavirus et contrats de travail en cours en droit camerounais

A travers le monde, le phénomène pandémique qu’est la COVID-19 affecte tout y compris les entreprises et par voie de conséquence, les travailleurs. Le Cameroun n’en réchappe malheureusement pas. Dès lors, quel rapport établir entre la pandémie et le pilier du droit du travail à la lumière du code du travail de 1992 et ses textes subséquents ?

Au Cameroun, les contrats de travail sont régis principalement par la Loi n° 92/007 du 14 août 1992 portant Code du Travail, même si l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), dont le pays est Etat-partie, prépare un acte uniforme relatif au Droit du Travail.

Au demeurant, ce code est explicité par plusieurs décrets et arrêtés ministériels. Pour ce qui concerne l’interférence entre les contrats de travail en cours et la pandémie du Coronavirus, quelques points suscitent un intérêt pour les juristes et naturellement pour les employeurs et employés impactés.

Prévention : obligation de sécurité et obligation d’information

Les employeurs (secteur privé notamment) sont tenus d’assurer à titre préventif l’hygiène et la sécurité des employés. Aux termes de l’article 98 du Code du Travail, toute entreprise ou tout établissement de quelque nature que ce soit, doit organiser un service médical et sanitaire au profit de ses travailleurs. Le rôle imparti à ce service consiste notamment à surveiller les conditions d’hygiène du travail, les risques de contagion et l’état de santé du travailleur, de son conjoint et de ses enfants logés par l’employeur et à prendre les mesures de prévention appropriées en même temps qu’à assurer les soins médicaux nécessaires.

En d’autres termes, il incombe à l’employeur de prendre des dispositions pour permettre aux employés de se laver fréquemment les mains avec du savon ou les désinfecter avec une solution hydro-alcoolique. L’arrêté N° 039 /MTPS /IMT du 26 novembre 1984 fixant les mesures générales d’hygiène et de sécurité sur les lieux de travail ne dit pas autre chose. 

Son article 2.- 1 dispose que « l’employeur est directement responsable de l’application de toutes les mesures de prévention, d’hygiène et de sécurité destinées à assurer la protection de la santé des travailleurs qu’il utilise. » Le même texte précise, article 52.- 1, que lavabos et douches sont pourvus d’objets de toilette appropriés: savon, serviettes propres, brosses, etc., fournis par l’employeur et fréquemment renouvelés.

On pourrait croire que le législateur ne met l’obligation de sécurité à la charge de l’employeur que pour les risques directement lié au travail objet du contrat. Il faut croire qu’il est également question de tout autre dommage à sa santé. Tout compte fait, l’employeur doit par exemple fournir masques respiratoires ou des gants selon la nature du travail (on peut forcer ici l’évocation des professionnels de la santé).

En France, le code du travail prévoit entre autres, le droit de retrait (Article L4131-1) qui permet à l’employé de se retirer, sans sanction possible, s’il pressent un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ou une défectuosité dans les systèmes de protection.


 


Toutefois, notons que les salariés ont également des devoirs dont celui de respect des consignes. A défaut de respect, cela peut être constitutif de faute lourde. Celle-ci pourra être appréciée par le juge (Cour suprême, Chambre judiciaire – section sociale, 03 mai 2017, 90/Soc).

Selon l’article 101. 1 du code du travail camerounais, en cas de maladie du travailleur, de son ou ses conjoints ou de ses enfants logés avec lui, l’employeur est tenu de leur fournir les soins et les médicaments dans la limite des moyens disponibles. Dans le même sens, une information permanente doit être dispensée aux travailleurs par les employeurs. 

En tout état de cause, les Inspecteurs du Travail et les Médecins-Inspecteurs du Travail compétents sont chargés du contrôle du respect des règles d’hygiène et de sécurité des travailleurs.

Travail à distance

Dans un contexte où toute proximité entre personnes devient très risquée, le télétravail se pose comme une option forte de prévention en cas d’exposition au coronavirus. Cette modalité de travail est désormais évoquée au Cameroun (établissements académiques et scolaires et même administrations et entreprises). Cependant, le législateur camerounais n’aménage pas cette modalité, même si on pourrait penser qu’elle reste dans l’ordre de la libre disposition des parties.

En droit français par exemple, aux termes de l’article L. 1222-11 du code du travail français depuis septembre 2017 : « en cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés. ». 

Aménagements du temps de travail

Tout comme pour le télétravail, en droit comparé français, le code du travail comporte des aménagements pour faire face à des situations exceptionnelles. Cela peut concerner le temps de travail, sur décision de l’employeur « la suspension du repos hebdomadaire pour travaux urgents, la dérogation au repos quotidien de 11 heures, le dépassement de la durée maximale quotidienne de 10 heures, la dérogation à la durée maximale du travail de nuit de 8 heures » explique le Dr Philippe Rozec dans La Semaine Juridique Edition Générale n° 12 du 23 mars 2020.

Cet auteur ajoute que les Français pourront activer par voie électronique, le dispositif d’activité partielle. En droit camerounais, ces mesures restent possibles. Le repos hebdomadaire est obligatoire pour un minimum de 24 heures consécutives par semaine et la durée du travail est de 40 à 48 h maximum selon que l’entreprise est agricole ou non. Sans prétention à l’exhaustivité, on peut noter que le droit camerounais permet des aménagements notamment pour la durée légale de travail.

Pourtant, selon le Décret n° 95/677/PM du 18 décembre 1995 portant dérogations à la durée légale du travail, dans son article 7, l’employeur peut procéder à une prolongation de la journée de travail pour récupérer des heures perdues (notamment dans le cadre des mesures de riposte contre le coronavirus). Mais, il faut que l’interruption du travail soit collective et résulte d’une force majeure (le législateur y classe les sinistres et les intempéries en employant l’adverbe notamment).

Il reste difficile de soutenir que les effets (riposte) du Coronavirus présentent les caractères d’une force majeure (imprévisible, incontrôlable et inévitable – article 1218 code civil). Cette mesure semble difficilement opérante même si cette récupération peut être renvoyée dans un temps futur. Il pourrait donc être utile que le législateur aménage cette situation.

Suspension et cessation des contrats en cours

Dans l’hypothèse où un employé sera atteint de coronavirus, le contrat de travail devra être suspendu (article 32 du Code du Travail Camerounais). Il faut toutefois que cela n’excède pas 6 mois et que le constat vienne d’un médecin (certificat médical). De même, l’Etat camerounais n’ayant pas exigé la fermeture de toutes les entreprises pour cause de coronavirus, l’employé ne devrait pas procéder à l’auto-confinement. Un accord doit être trouvé avec l’employeur, faute de quoi l’absence du premier pourra être considéré comme un abandon de poste

Si le coronavirus expose l’entreprise à des difficultés passagères, la possibilité de recourir au chômage partiel comme en droit français existe. En droit camerounais, cette modalité qui permet d’éviter les licenciements s’appuie sur le chômage technique encadré par l’article 32 in fine. 

Le contrat de travail est suspendu pendant la durée du chômage technique, dans la limite de 6 mois maximum ; le chômage technique étant défini comme l’interruption collective de travail, totale ou partielle, du personnel d’une entreprise ou d’un établissement résultant, soit de causes accidentelles ou de force majeure, soit d’une conjoncture économique défavorable.

Notons qu’en cas de chômage technique, l’employeur doit verser une indemnité au travailleur. Aux termes de l’Arrêté n°001/cab/mtps du 14 février 1995 fixant les taux d’indemnisation pendant la période de suspension du contrat de travail pour cause de chômage technique, cette indemnité oscille entre 20 et 50 % du salaire mensuel du travailleur et selon la durée du chômage. 

Concernant les licenciements consécutifs à la crise du coronavirus, on peut y penser lorsque les difficultés de l’entreprise sont drastiques. Mais encore, il faut noter que le simple fait que l’entreprise soit touchée par l’épidémie ne devrait pas justifier la résiliation des contrats de travail en cours. L’employeur peut toutefois invoquer la crise de la Covid-19 comme un cas de force majeure qui l’empêche de poursuivre le contrat, à condition pour lui de le démontrer avec une appréciation devant faite par le juge

La rupture du contrat de travail peut certes être d’un commun accord entre employeur et employé.  Sinon il faut, pour qu’un tel licenciement soit légal, qu’il y ait ; soit une incapacité de travail de l’employé pour cause de coronavirus, soit une faute lourde pour non respect des consignes sanitaires ou pour des difficultés consécutives au virus d’un point de vue économique. On parlera dans ce dernier cas de licenciement pour motif économique et encore que, la procédure sociale et celle du droit des procédures collectives (Autorisation du juge-commissaire, art. 110 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif) doivent être observées le cas échéant.

Willy S. ZOGO