CAMEROUN | INTERVIEW - MARIE ABESSOLO : " La révision de la Convention collective nationale du Commerce était fort attendue !"


Propos recueillis par JESPO |


Une nouvelle convention collective nationale du Commerce vient de remplacer celle de 2017. Le contexte se prête ainsi favorablement à plusieurs interrogations quant à ce qui change fondamentalement pour les travailleurs du secteur du Commerce. Mais, également, de manière légitime, on peut se demander ce qu’il reste à parfaire. Pour apporter de la lumière à ces préoccupations, l’experte Marie ABESSOLO, auteure et essayiste d’une étude comparative sur les conventions collectives au Cameroun a accepté de répondre à nos questions…

Marie Abessolo (c)

Bonjour, Mme ABESSOLO, lorsqu’on sait notamment à travers votre dernier livre que certaines conventions collectives sont à 45 ans sans changement, d’entrée de jeu, l’on veut savoir, qu’est-ce qui a justifié la réforme de la convention de 2017 ?

La révision de la convention collective nationale du commerce intervient dans un contexte financièrement tendu marqué par l’impact négatif de la pandémie covid-19 ainsi que de la crise ukrainienne, qui naturellement ont occasionné la cherté de la vie au Cameroun et de nombreuses plaintes (1) justifiées chez les travailleurs qui réclament l’amélioration de leurs conditions. Elle intervient également dans un contexte où sur le plan national des reformes (2) ont été prises notamment la révision du SMIG (3) et l’augmentation des frais de transport, réformes qui ont emmené d’autres secteurs d’activités (4) à renégocier leur convention collective durant l’année 2023 et plusieurs autres sont en cours de négociation (5). En tant que convention la plus utilisée au Cameroun, il était temps que les partenaires sociaux de ce secteur d’activité s’accordent et proposent de nouvelles dispositions qui auront un impact positif sur la vie des milliers de travailleurs. Pareillement à ces difficultés, la vie devient chère au Cameroun et les travailleurs se plaignent (6) de plus en plus (7). Entre les cris des employeurs et ceux des travailleurs un juste équilibre s’impose.

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(1) Les Mouvements de grèves sont répétitifs dans les entreprises privées et para publiques. Ces Mouvements se rependent aussi chez certains fonctionnaires notamment ceux de l’enseignement secondaire et primaire ( Cf OTS on a trop supporté lancé le 21 février 2022 avec l’opération craie morte).

(2) La loi de finances 2023 du Cameroun annonce une tendance vers l’augmentation des prix. Un communiqué signé du secrétariat du premier ministre le 31 janvier précise que désormais le litre super passe à 730 FCFA le litre gasoil à 720 le litre et le pétrole vendu par la SCDP aux industries à 560,19FCFA. Des décisions qui auront bien évidement des conséquences sur les travailleurs de tous les secteurs d’activités raison pour laquelle la rémunération des agents publics a été revue à la hausse à un taux de 5,2%. Ce niveau d’augmentation semble être proche de celui du secteur privé si l’on s’en tient au taux d’augmentation prévu au sein des conventions nouvellement renégociées. A titre d’exemple, la nouvelle convention collective des assurances prévoit un taux d’augmentation des salaires de 5% pour les travailleurs de la catégorie 1 à la catégorie 6, 4% pour les travailleurs de la catégorie 7 à la catégoriel 9 et 3 % pour les cadres. Source Cameroon tribune du 11 janvier 2023. 

(3) Suivant le décret N°2023/00338/PM du 21 mars 2023 portant revalorisation du salaire minimum inter garanti au Cameroun le smig actuel à 41 875 FCFA pour les agents de l’Etat relevant du code de travail, à 45 000 FCFA pour les travailleurs relevant du secteur agricole et assimilé et à 60 000 FCFA pour les travailleurs des autres secteurs d’activité. En Afrique Centrale, le Cameroun, malgré son statut de pays locomotive de cette partie de l’Afrique a l’un des smig les plus bas par rapport à celui en vigueur chez certains pays à l’instar de la guinée équatoriale qui est passé de 90 000FCFA en 2002 à 128 000FCFA en 2020. Chez les voisins un peu plus éloignés comme la Côte d’Ivoire, le smig est passé de 60 000 FCFA à 75 000 FCFA au 1er janvier 2023 . Au Togo, le smig est passé de 35 000 FCFA à 52500 FCFA au1er janvier 2023 . En 2020, les plus bas salaires minimums, en Afrique francophone se pratiquent en l’occurrence au Mali (31.370 FCFA,), au Niger (30.047 FCFA) et en Mauritanie (30.000FCFA). 

(4) La Convention collective des industries de transformation et la convention collective nationales des assurances, conventions collective nationale des hydrocarbures. 

(5) Selon le ministre camerounais de Travail et de la Sécurité sociale, Grégoire OWONA, son département ministériel a été saisi de demandes en vue de la révision de neuf conventions collectives. A en croire le membre du gouvernement, certaines révisions sont d’ailleurs finalisées, tandis que d’autres sont en cours de négociation.  

(6) Les Mouvements de grèves sont répétitifs dans les entreprises privées et para publiques. Ces Mouvements se rependent aussi chez certains fonctionnaires notamment ceux de l’enseignement secondaire et primaire (cf OTS on a trop supporté lancé le 21 février 2022 avec l’opération craie morte).

(7) Suivant le décret N°2023/00338/PM du 21 mars 2023 portant revalorisation du salaire minimum inter garanti au Cameroun le smig actuel à 41 875 FCFA pour les agents de l’Etat relevant du code de travail, à 45 000 FCFA pour les travailleurs relevant du secteur agricole et assimilé et à 60 000 FCFA pour les travailleurs des autres secteurs d’activité. En Afrique Centrale, le Cameroun, malgré son statut de pays locomotive de cette partie de l’Afrique a l’un des smig les plus bas par rapport à celui en vigueur chez certains pays à l’instar de la guinée équatoriale qui est passé de 90 000FCFA en 2002 à 128 000FCFA en 2020. Chez les voisins un peu plus éloignés comme la Côte d’Ivoire, le smig est passé de 60 000 FCFA à 75 000 FCFA au 1er janvier 2023. Au Togo, le smig est passé de 35 000 FCFA à 52500 FCFA au1er janvier 2023 . En 2020, les plus bas salaires minimums, en Afrique francophone se pratiquent en l’occurrence au Mali (31.370 FCFA,), au Niger (30.047 FCFA) et en Mauritanie (30.000FCFA) 

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En votre qualité de chercheur sur la question, pouvez-vous nous indiquer qu’elles sont les innovations induites par cette nouvelle Convention Collective ?

Sur la suspension du contrat du travail : L’article 35 de la convention de 2017 était très vague sans aucune spécification relative sur les conditions de la suspension conservatoire, le nombre de jours de suspension, la possibilité de renouvellement de la suspension, le sort du salaire du travailleur suspendu etc… Avec la nouvelle convention collective de 2024 en son article 35 on note désormais que l’entreprise a la possibilité de procéder à la suspension conservatoire du travailleur ayant fait l’objet d’une investigation interne dans le cadre d’une procédure disciplinaire dûment ouverte, lorsque le maintien du travailleur dans l’entreprise est susceptible d’entraver le bon déroulement de l’investigation ou de nuire au climat social. La suspension conservatoire n’étant pas une sanction, le travailleur conserve le bénéfice de sa rémunération totale. La durée de la suspension est de 5 jours éventuellement renouvelables 1 fois.

Sur l’indemnité de licenciement : On note une augmentation par palier de 5 % avec la nouvelle convention collective. En effet, au sens de l’article 45 B-PG 29, en cas de licenciement, hormis le cas de faute lourde, le travailleur ayant accompli dans l'entreprise une durée de service au moins égale à 1an a droit à une indemnité de licenciement distincte de celle du préavis. Sauf pratique plus avantageuse en vigueur, cette indemnité est égale à un pourcentage applicable au salaire moyen mensuel des 12 derniers mois qui ont précédé le licenciement à l'exclusion des indemnités représentatives des frais ou d'avantages en nature. Le pourcentage applicable varie comme suit : De 1 à 5 ans : 30% ; De 5 à 10 ans : 35% ; De 10 à 15 ans : 45% ; De 15 à 20 ans : 50% et Au-delà de 20 ans : 55%. C’est justement cette variation qui est à féliciter et qui créée la différence car les taux de la convention de 2017 étaient de : De 1 à 5ans : 25% ; De 5 à 10 ans : 30 % ; De 10 à 15 ans : 40 % ; De 15 à 20 ans : 45 % ; Au-delà de 20 ans : 50%. En conclusion, les travailleurs licenciés sur base de cette nouvelle convention auront plus d’argent.

Sur le départ à la retraite : La convention prévoit une belle innovation pour les futurs retraités, en effet l’article 46A PG 30 prévoit que deux ans avant le départ à la retraite le travailleur bénéficie d’un sursalaire correspondant à la différence entre le salaire de base de sa catégorie échelonnée et la catégorie immédiatement supérieure au même échelon.


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Sur l’indemnité de fin de carrière : Le pourcentage applicable au salaire moyen mensuel des 12 derniers mois a connu une augmentation par palier de 5 %. Au sens de l’article 46B-PG30, Sauf pratique plus avantageuse en vigueur l’indemnité de fin de carrière est égale pour chaque année de présence dans l'entreprise à un pourcentage du salaire moyen mensuel des 12 derniers mois qui ont précédé le départ à la retraite selon la grille ci-dessous : De 1 à 5 ans : 45% ; De 5 à 10 ans : 50% ; De 10 à 15 ans : 65% ; De 15 à 20 ans : 75% ; Au-delà de 20 ans : 80 %. Le travailleur doit être informé de son départ en retraite 1an au moins avant sa prise d'effet. En cas d'inobservation de ces délais, l’indemnité est majorée de 10%. Les taux de 2017 étaient moins élevés que ceux de 2024 à savoir : De 1 à 5 ans : 40% ; De 5 à 10 ans : 45% ; De 10 à 15 ans : 60 % ; De 15 à 20 ans : 65% ; Au-delà de 20 ans :75 %.

 

Sur la prime de bonne séparation : Tel qu’elle était prévue dans la convention de 2017, les travailleurs étaient défavorisés, les plus chanceux pouvaient avoir 3 mois de salaire bruts catégoriels échelonné majoré de la prime d’ancienneté quelle que soit leur ancienneté. Avec la nouvelle convention collective, le cadre de négociation de la prime de bonne séparation est plus clair, plus avantageux pour les travailleurs si l’on s’en tient aux dispositions de l’article 48 PG 31 qui prévoit que dans le cadre d’une séparation amiable négociée entre les parties , l’employeur s’engage à verser aux salariés ayant au moins une année d’ancienneté une prime de bonne séparation calculée sur la base du salaire catégoriel échelonné majoré de la prime d’ancienneté et du sursalaire s’il en existe selon les paliers ci-après. De 1 an à 3 mois : au moins 4 mois ; De 4 à 7 ans : au moins 7 mois ; De 8 à 10 ans : au moins 10 mois ; Au-delà de 10 ans : au moins 12 mois et C’est remarquable comme innovation.

Sur le déplacement occasionnel-Indemnité de déplacement : L’indemnité de déplacement a connu une augmentation de 5000 francs par palier. Ce qui suppose que les frais de missions des travailleurs connaitront une hausse de la manière suivante : Cat I à VII 30 000 au lieu 25 000 ; Cat VIII-IX 35 000 au lieu de 30 000 et Cat X-XII 40 000 au lieu de 35 000. Le plus impressionnant est qu’au montant ci-dessus s’ajoutent les frais de transport intra-urbain en cas de déplacement occasionnels à la charge de l’employeur, qui s’aligneront aux tarifs publics de taxi dépôt pour tous les déplacements. C’est l’essentiel des innovations de l’article 57 PG 34 -35. 

Sur la mutation avec changement de résidence : Bien que l’indemnité compensatrice de logement soit maintenue à 40% du salaire brut majoré de la prime d’ancienneté, la nouvelle convention innove en accordant un jour ouvré au travailleur pour permettre d’effectuer l’empaquetage, le déménagement, le déballage des effets personnels. Article 60 P36.

Sur le congé payé majoration pour ancienneté : Les dispositions anciennes concernant le régime des congés ont été maintenues à l’exception du congé de maternité qui tient désormais compte du type de grossesse (gémellaire ou simple). Ainsi au sens de l’article 63 PG 39, le congé de maternité est augmenté de quatre semaines en cas d’accouchement gémellaire. Cette période de congé supplémentaire non supportée par la CNPS est payée à 80% du taux normal par l’entreprise.

Sur la revalorisation des salaires et barèmes applicables : Si la revalorisation des salaires faites en 2017 s’est faite au taux de : Cat 1 à 6 : 7.5% ; Cat 7 à 8 : 3.5% ; Cat 9 à 12 : 1.5% et Celle de 2024 en son article 70-PG43 prévoit des proportions plus importantes à savoir : Cat 1 à 3 : 30% ; Cat IV et V : 11% ; Cat VI à VIII : 7.5% ; Cat IX à XII : 4% et les taux de salaires sont au-dessus du SMIG, contrairement à plus de 20 conventions collectives encore en vigueur avec des taux de salaires en deca du SMIG. Cette revalorisation aura un impact positif sur les travailleurs.

Sur l’indemnité de transport : Cette indemnité a augmenté de 300 FCFA certainement pour essayer de prendre en compte l’augmentation des frais de taxi validé récemment par le gouvernement. Aussi au lieu de 1000 FCFA, les travailleurs bénéficieront désormais d’une indemnité de transport de 1300 FCFA par jour de travail effectif c’est le sens de l’article 74 PG 44

Sur la prime de caisse : La base de calcul de la prime de caisse était compliquée, pas facilement compréhensible par tous : Caissier principal : 20% de la catégorie 6 échelon A ; Caissier secondaire :20% de la catégorie 5 échelon A ; Caissier auxiliaire : 20% de la catégorie 4 échelon A. L’article 18 P45 simplifie les calculs et annoncent des montants : Caissier principal : 33 000 ; Caissier secondaire : 26 000. Toutefois, on remarque que cette convention ne fait plus allusion aux caissiers auxiliaires.

Pour finir, en tant qu’auteur sur les conventions collectives au Cameroun, avez-vous une observation globale sur cette convention ou sur toutes les autres applicables au Cameroun ?

Comme je l’ai expliqué au détour de mon ouvrage, « étude comparée des conventions collectives nationales au Cameroun », sur l’ensemble des conventions collectives nationales applicables au Cameroun, un constat général est fait, celui d’une lenteur inquiétante dans leur bonification car elles subissent l’usure du temps sans connaitre des modifications adéquates cadrant avec les réalités vécues par les travailleurs. Cette situation s’avère embarrassante pour une grande majorité de travailleurs au Cameroun. Cet embarras est d’autant plus persistant que la question de la bonne convention collective nationale à appliquer à un travailleur se pose de plus en plus. En fait, certains travailleurs se voient être soumis à des conventions collectives qui ne relèvent pas de leurs secteurs d’activités, ce qui constitue un désordre auquel viennent s’ajouter les nombreuses entraves au respect des conventions collectives. Toutefois, il convient de reconnaitre les efforts fournis par les partenaires sociaux en vue de l’amélioration des droits des travailleurs et la création des droits nouveaux ce qui constitue une solution pour la lutte contre l’augmentation du nombre de travailleurs pauvres. On peut déjà relever avec beaucoup de satisfaction la volonté générale des partenaires sociaux d’aller au-delà des dispositions légales, du code de travail et ses textes d’application en modifiant certaines dispositions en faveur des travailleurs et en leurs conférant des droits nouveaux. Mais, au demeurant, l’épineux problème de la garantie de l’application des dispositions contenues dans les conventions collectives nationales reste persistant. Entre la mauvaise foi de certains employeurs et les pouvoirs limités de l’inspection de travail, la peur des délégués du personnel et le recul de confiance envers les syndicats, les droits des travailleurs sont parfois bafoués fragilisant ainsi la notion de travail décent.  

La révision de convention collective aura toujours une incidence économique qui impactera les finances des entreprises. La question se pose de savoir si malgré leur bonne volonté d’améliorer des conditions de vies des travailleurs, les employeurs ont-ils des ressources financières stables (8) pour envisager d’éventuelles modifications quand on connait l’impact négatif de la pandémie covid-19 sur certaines entreprises et les conséquences irréversibles de la crise ukrainiennes (9).

(8) La vie devient de plus en cher au Cameroun et le pouvoir d’achat des travailleurs n’augmente pas assez. https://www.banquemondiale.org/. Depuis novembre 2021, le Cameroun connaît une forte inflation, tirée principalement par la pénurie et la hausse du prix des produits de base (pain, blé et produits connexes, huile végétale et viande), qui s'explique par la perturbation de la chaîne de valeur mondiale due à la pandémie de Covid-19 et au conflit en cours entre l'Ukraine et la Russie. Le conflit en Ukraine a entravé la reprise économique du Cameroun, accentuant les pressions inflationnistes et les vulnérabilités structurelles nationales.

(9) La loi de finances 2023 du Cameroun annonce une tendance vers l’augmentation des prix. Un communiqué signé du secrétariat du premier ministre le 31 janvier précise que désormais le litre super passe à 730 FCFA le litre gasoil à 720 le litre et le pétrole vendu par la SCDP aux industries à 560,19FCFA. Des décisions qui auront bien évidement des conséquences sur les travailleurs de tous les secteurs d’activités raison pour laquelle la rémunération des agents publics a été revue à la hausse à un taux de 5,2%. Ce niveau d’augmentation semble être proche de celui du secteur privé si l’on s’en tient au taux d’augmentation prévu au sein des conventions nouvellement renégociées. A titre d’exemple, la nouvelle convention collective des assurances prévoit un taux d’augmentation des salaires de 5% pour les travailleurs de la catégorie 1 à la catégorie 6, 4% pour les travailleurs de la catégorie 7 à la catégoriel 9 et 3 % pour les cadres. Source Cameroon tribune du 11 janvier 2023.