CEMAC/UEMOA : Les contrats financiers prévus par le droit OHADA et les marchés de capitaux : Par où commencer ?  


Par Dr Willy ZOGO | 


L'Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique (AUSCGIE) qui a été adopté par le Conseil des Ministres de l’OHADA le 30 janvier 2014 est entré en vigueur en juin de la même année. Parmi les multiples innovations induites par la révision figure la refonte des instruments financiers incluant désormais les contrats financiers encore dits "instruments financiers à terme". Pourquoi ces outils financiers ne sont pas implémentés ? Que manque-t-il ?  

DE G A D : M. PATOKI - AMF-UMOA, Mme ADIABA - COSUMAF et le SP OHADA - DARANKOUM

L’Article 744 de l’AUSCGIE qui dispose que les sociétés anonymes émettent des valeurs mobilières ainsi que d'autres titres financiers ajoute In fine que les mêmes sociétés anonymes peuvent également conclure des contrats financiers dits « instruments financiers à terme » et ceci dans les conditions fixées par l'autorité compétente de chaque État partie

En droit du marché financier de la CEMAC, les contrats financiers et le marché à terme sont évoqués aux articles 2,5, 8 et 137 du Règlement CEMAC du 21 juillet 2022. L’article 2 distingue le marché au comptant des valeurs mobilières du marché à terme où sont négociés les contrats financiers ou instruments financiers à terme. L’article 5 souligne quant à lui que les instruments financiers sont désormais constitués de titres financiers d’une part et des instruments financiers d’autre part. L’article 8 rappelle que les contrats financiers ou instruments financiers à terme comprennent :

  • Les contrats à terme ferme
  • Les contrats d’option,
  • Les contrats d’échange,
  • Les accords sur taux futures et autres contrats à terme qui peuvent être réglés par une livraison physique ou en espèces, négociés ou non sur le marché financier régional et portant sur des actifs, des droits ou des obligations.

On remarque d’entrée de jeu que le législateur communautaire de l’OHADA ne s’aventure pas à édicter ne fût-ce qu’une définition (intensive ou extensive) de la notion juridique ou du concept « fort économique » de « contrats financiers ou instruments financiers à termes ». Sans doute, laisse-t-il ce soin à l’autorité dont parle l’article 744 in fine. Ce que la CEMAC a fait . Mais alors quelle est-elle ? et à quoi renvoie le concept même de contrat financier ?

C’EST QUOI LES CONTRATS FINANCIERS ENCORE DITS INSTRUMENTS FINANCIERS A TERME ?

D’entrée de jeu, qu’est-ce qu’on peut mettre dans la notion/concept de contrats financiers encore dits produits dérivés ou dérivés ? A quoi cela sert ? Alors disons que, les instruments financiers à terme sont des contrats dont la valeur dépend d’un autre actif ,financier ou pas (corporel), que l’on appelle donc sous-jacent. A la base, l’idée à l’origine de ses « contrats financiers » relève du fait que les agriculteurs de bulbes de tulipes (17ème siècle en Hollande) ou de blé (1960 à Chicago) et les acheteurs voulaient se protéger contre les variations/fluctuations des prix sur le marché.

En clair les instruments financiers qui sont déclinés en instruments fermes et en instruments conditionnels permettent :

- soit de spéculer et de gagner de l’argent en fonction des baisses et des hausses des prix des actifs sous-jacents,

- soit de se protéger contre les risques à venir d’écarts de ses hausses et baisses.

En termes simples, les instruments fermes ou futures sont des engagements fermes et définitifs de livrer ou de recevoir, à une échéance spécifique, à un prix fixé lors de la négociation, une certaine quantité de l’actif négocié. Cet engagement peut porter sur tout type d’actif y compris sur les contrats standardisés eux-mêmes. A l’échéance fixée soit la livraison de l’actif sous-jacent est faite au dernier donneur d’ordres, soit la compensation est faite c’est-à-dire que l’ordre inverse est donné et le bénéfice issu de la marge est encaissé. Cela peut se faire sur un marché réglementé ou alors de gré à gré.

Avec comme supports ou sous-jacents, les matières premières, les devises ou les valeurs mobilières, les instruments financiers à terme ferme renvoient classiquement à :

  • Les Foward-Foward (terme contre terme) ou Foward Rate agreement (FRA)
  • Les Fowards exchange agrement ou FXA
  • Les SWAPS ou crédits croisés

Pour les instruments conditionnels, ils reposent sur les options ou droits d’acheter (dit CALL) ou de vendre (PUT) à un prix convenu d’avance dit prix d’exercice, une certaine quantité d’actif donné en contrepartie d’un paiement de prime. Cette option ou ce droit doit être exercé dans une période donnée ou à l’échéance seulement. Dans cette catégorie se rangent aussi les warrants ou options à long terme émises par les banques et qui sont négociés en bourse (exemple : Nextwarrant en France) et permettent des valeurs nominales réduites, des échéances plus longues et sont renégociables sur le marché secondaire. Sur les marchés conditionnels, on peut donc échanger les warrants (dans une certaines mesures put warrants et call warants). 

En un mot, les marchés à terme où se vendent des « engagements fermes et définitifs » diffèrent donc entre les Marchés à terme de marchandises ou de commodités (matières premières comme le blé, le cacao, le pétrole dont les prix seront fixés à l’avance selon les quantités en prévision des conditions futures du marché - selon les experts, en règle générale, entre 50 et 80 % du volume d'un marché à terme de contrats à terme porte sur les matières premières) et les Marchés à terme de produits financiers (produits financiers comme le change, les indices boursiers, les taux d’intérêt, les titres financiers ) animés par des foward-foward et les FRA ou Foward Rate agreement pour les taux d'intérêt des emprunts, des fowards exchange agrement ou FXA pour les taux de changes et les dévises ou des SWAPS ou crédits croisés. 

A côté de cette suma divisio, on doit ajouter le marché des « options » qui sont, non pas des engagements fermes et définitifs donc des contrats, mais des droits (et non des obligations) qui peuvent être levés ou non.

  • Marchés d’options animés par des Calls et des Puts sur l’or, les devises, les contrats à terme, les matières premières, les indices boursiers, etc…)

En CEMAC, comme indiqué plus haut, l'article 8 du Règlement de juillet 2022 portant organisation et fonctionnement du marché financier de l'Afrique centrale, le législateur retient cette énumération visiblement exhaustive des contrats financiers : 

  • Les contrats à terme ferme
  • Les contrats d’option,
  • Les contrats d’échange,
  • Les accords sur taux futures et autres contrats à terme qui peuvent être réglés par une livraison physique ou en espèces, négociés ou non sur le marché financier régional et portant sur des actifs, des droits ou des obligations.

 QUI DOIT PRECISER LES CONDITIONS DE CREATION ET D’USAGE DES CONTRATS FINANCIERS ?

Tout comme pour ce qui est du complément des règles relatives à la création, l’usage et la circulation des titres financiers (qui par opposition sont les instruments financiers au comptant par rapport aux produits financiers dérivés qui sont les instruments financiers à terme), les règles spéciales devant encadrer les instruments financiers à termes dans l’espace de l’OHADA ressortissent des autorités financières et monétaires nationales ou sous régionales.

En Afrique de l’Ouest, il appartient à l’Autorité des marchés financiers (AMF-UMOA) de fixer les modalités de création et de circulation des contrats financiers à terme. Naturellement, elle devra le faire en symbiose avec la Banque centrale - BCEAO, l’UMOA-Titres et les ministères en charge des finances et des produits agricoles des Etats membres.

En Afrique centrale, il revient à la Commission de Surveillance du marché financier qui devra le faire en symbiose avec la Banque centrale – BEAC et les ministères en charge des finances et des produits agricoles des Etats membres.

QUELLES SONT LES CONDITIONS QU’ON ATTEND POUR LANCER ?

D’entrée de jeu, en UMOA et en CEMAC, il faut des marchés organisés comme cela est le cas avec le LIFFE à Londres qui est le marché international des produits dérivés du NYSE-EURONEXT et son concurrent germano-suisse EUREX.

Dans une étude menée par Cédric Achille MBENG MEZUI et alii en 2013 et intitulée « Guide sur la structure des bourses africaines de marchandises et de produits dérivés» , il est soutenu que les conditions et les préalables pour lancer ces contrats financiers tiennent de la création dans l’espace OHADA d’un marché physique réelle ( infrastructures routières, agricoles, etc ), des produits de qualité, ainsi qu’une bonne standardisation, la traçabilité des échanges commerciaux, la transparence sur la volatilité des prix, la prise en compte de la potentielle implication de la spéculation ainsi que l'implication des banques dans le secteur des matières premières

En tout état de cause, les experts s’accordent à dire que pour lancer un marché à terme et d’options pour les marchandises en CEMAC, en UEMOA comme ailleurs, il faut au minimum que soient créés :

  • des chambres de compensation: Sur ce point la CEMAC est en bonne voie car dans le texte, le règlement (post-fusion) portant organisation et fonctionnement du marché financier de la CEMAC édicté par le Conseil des Ministres le 23 juillet 2022 ainsi que le nouveau Règlement général de la COSUMAF de 2023 ont aménagé la Chambre de compensation de la CEMAC. En Afrique de l’Ouest, la réforme récente et même les projets de réforme à venir sur le marché financier ne mettent pas en exergue les contours d’une chambre de compensation autonome. Ce rôle reste concédé au DC/BR ou Dépositaire Central- Banque de Règlement.  Cependant, hors de l’OHADA, les pays francophones de l’UEMOA ont participé au Ghana (où il existe déjà la  Ghana Commodity Exchange (GCX)  ) à la préparation de la création d’un marché des matières premières à l’échelle CEDEAO.  

 

  • une standardisation des contrats financiers admissibles sur les plateformes des chambres de compensation. (Celle-ci est la grande absente). Déjà, il faut dire que les options ont déjà une base en droit OHADA avec les DPS ou droits préférentiels de souscriptions et les bons de souscriptions d'actions. Dans un autre sens, on peut observer les avancées comme l'existence des indices boursiers au niveau de la BRVM (trois au terme des dernières réformes) et le projet d'indice sur la BVMAC, ce qui peut servir de base aux Trackers ou fonds indiciels, sortes d'OPCVM investissant dans les valeurs entrant dans des indices. Cependant, pour les commodités, il est important qu'il y'ait un consensus sur les conditionnements des matières premières par exemple...
  • des autorités de tutelle ( celles-ci existent déjà à savoir COSUMAF et AMF-UMOA) mais les autres acteurs doivent être associés.

 

  • des intermédiaires constitués de courtiers transmetteurs d’ordres d’achat et de vente ( brokers) et de négociateurs exécutants d’ordres d’achat et de vente (traders), avec les Sociétés de Bourse en CEMAC et les Sociétés de Gestion et d’Intermédiation (SGI) en UMOA.

 

  • des investisseurs / spéculateurs avec des banques intervenant sur les opérations de gré à gré, les entreprises se couvrant contre les risques des sous-jacents, les fonds d’investissements, les assureurs et les spéculateurs professionnels ou « dealers ».

EN CONCLUSION 

A la question de JURISTE de savoir :  Par où commencer pour lancer de manière effective sur les deux marchés financiers de l’OHADA (CEMAC et UEMOA) les contrats financiers à terme (encore dits produits dérivés) prévus par le droit OHADA ? 

  • Comme les autorités de tutelle, les intermédiaires, les banques, et les investisseurs potentiels existent déjà, il faut élargir clairement leurs compétences aux contrats financiers ;
  • Il faut commencer par créer la chambre de compensation (UMOA) et déterminer toutes ses règles de fonctionnement (CEMAC) ;
  • De manière conséquente, il faut préciser le cadre juridique des produits dérivés et les modalités de leur standardisation pour les faire harmonieusement entrer dans les mécanismes des chambres de compensation créées ou à créer.