GABON | COUP D'ETAT : Quelles conséquences juridiques sur les marchés financiers de la CEMAC ?


Par Dr ZOGO


Après avoir débarqué le président sortant de la dernière élection présidentielle, le mercredi 30 août 2023 (jour de cotation boursière à la BVMAC), le général Brice Clotaire Oligui Nguema gouverne officiellement depuis sa prestation de serment du lundi 4 septembre, en tant que président de la transition. Ce renversement aux forceps à la tête de l’Etat du Gabon a entrainé des conséquences financières sur le marché boursier où les emprunts obligataires de l’Etat gabonais sont cotés ainsi que sur le marché des titres publics de la BEAC. Cependant, quelle est la suite juridique ?

GEN. OLIGUI NGUEMA, HOMME FORT DU GABON

L’Etat gabonais est un émetteur constant de titres de dette sur les marchés de financement de la sous-région CEMAC. Il est donc fort présent sur le marché financier et sur le marché des titres du Trésor. Cependant, si les coups d'Etat au Burkina Faso ou au Niger ont parfois affecté la capacité des émetteurs à respecter leurs engagements sur le marché local, le cas du Gabon donne à voir une sérénité sur la BVMAC et la BEAC. Dans le même temps, certains analystes parlent de la chute des cours sur les Eurobonds gabonais et même camerounais à l'international. 

SUR LE MARCHE FINANCIER DE LA CEMAC

Au compartiment obligations de la BVMAC, l’Etat gabonais est sur trois lignes : Etat du Gabon EOG 6,25% NET 2019-2024 ; Etat du Gabon EOG 6% NET 2021-2026 et Etat du Gabon EOG 6,25% NET 2022-2028. Le 1er septembre 2023, le résultat des transactions indique officiellement sur le marché de la Bourse des Valeurs Mobilières de l’Afrique centrale que « sur le compartiment "C" des Obligations où les valeurs sont cotées pied de coupon, la séance de ce jour n’enregistre aucune transaction et les prix des actifs restent inchangés par rapport à leur situation de clôture veille (30/08/2023). » Aucune frénésie n’est donc observée sur le marché du long terme de la sous-région CEMAC.

Mais comme on le sait, l’État gabonais avait lancé le 15 juin et ce jusqu’au 31 août 2023, l’opération de souscription de l’emprunt obligataire « EOG 6,25% Net 2023-2028 » par appel public à l’épargne pour un montant de 150 milliards de FCFA. Cette levée de fonds rémunérés au taux annuel de 6,25% avec un différé d’un an sera sans doute cotée à la BVMAC sous peu.

SUR LE MARCHE DES VALEURS DU TRESOR DE LA BEAC

Sur le marché des titres publics des Trésors de la CEMAC, les communiqués d'annonces d'émissions pour le Gabon faisaient bien état de la recherche de 9 milliards de FCFA en BTA (Bons du Trésor Assimilables) à 26 semaines du 30 août 2023 d’une part, et de la recherche de 175 à 200 milliards de FCFA en OTA (Obligations du Trésor Assimilables) à 3 ans du 30 août 2023 d’autre part.

Le résultat des adjudications de ces titres de dette n’étant pas encore disponible de manière officielle, on pourrait aussi penser que le pays tient ses engagements. La question reste intacte cependant de savoir si les SVT ou premiers acquéreurs de ces actifs ont été frileux ou non.

ASSURANCES DES PUTCHISTES ET PROBLEMATIQUES JURIDIQUES

Comme le sait, le Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI) qui dirige désormais le Gabon a fait savoir sa ferme volonté de tenir ses « engagements internationaux » en dépit des réprobations officielles au niveau de la CEMAC (le cas du Président TOUADERA de la RCA).

Les questions juridiques sont les suivantes : le coup d’Etat au Gabon est-il un obstacle pour les opérations d’achats et de ventes des obligations cotées et non cotées ainsi que les BTA et OTA ? Que prévoient les textes juridiques si le Gabon venait à être défaillant à l’égard des obligataires et autres porteurs ?

Comme on le sait les emprunts obligataires de l’Etat gabonais ont comme mécanisme de protection des acquéreurs, la mise en place d’un compte séquestre pour le Dépôt Spécial –Amortissement de l’Emprunt Obligataire de l’Etat ouvert auprès de la BEAC.

De fait comme de droit, ce compte sert exclusivement au remboursement des souscripteurs de l’Emprunt Obligataire et est alimenté tous les 30 du mois ou le jour ouvrable suivant cette date, dès le mois suivant la clôture de l’emprunt, par un prélèvement mensuel unique irrévocable représentant le 1/12ème (douzième) de l’annuité exigible figurant sur le tableau d’amortissement, par un débit d’office du compte unique du Trésor (CUT) Gabonais en ses livres.

De même, le Ministre de l’Economie et de la Relance du Gabon donne instruction irrévocable à la BEAC pour débiter le CUT au profit du compte séquestre dans les conditions sus évoquées. Et ce compte séquestre ne peut enregistrer d’opérations au débit qu’en faveur des sociétés de bourse agréées par la COSUMAF au titre du paiement des échéances (Intérêts et/ou Capital) de tel ou tel Emprunt Obligataire de l’Etat gabonais.

Toutefois, si sur le marché financier le compte séquestre est institué, sur le marché des titres du Trésor de la BEAC, il n’en est rien. Cependant, le Règlement n°03/19/CEMAC/UMAC/CM du 20 décembre 2019 relatif aux valeurs du Trésor émises par les Etats membres de la CEMAC a envisagé certains cas de défaillance de défaillances. Son article 6 indique dès lors que tout Etat qui « enregistre » des impayés à l’égard des acquéreurs de ses OTA ou BTA sera interdit d’émission jusqu’à complet paiement de ses dettes.

La première sanction d’une éventuelle insolvabilité du Gabon pour les emprunts en cours notamment pour les actifs aux intérêts post-comptés est donc juridiquement la « suspension jusqu’à régularisation ».  

Il fait dire que les emprunts des Etats sur les marchés sont des dettes et en dernier recours juridiques, une défaillance de leur part est de nature à induire une action en remboursement devant les juridictions des investissements notamment au plan international et surtout si des clauses d'arbitrage sont prévues ou mobilisables. Et le tout étant soutenu par le fait que la continuité de l'Etat par les nouvelles autorités est un acquis. 

A notre avis, le coup d’Etat au Gabon ainsi les mouvements observés du point de vue du risque politique au Tchad et RCA par le passé, interpellent les autorités monétaires en charge de veiller à la stabilité du système financier et à la protection des investisseurs/épargnants.

En urgence, elles doivent renforcer de manière opératoire la protection des actifs financiers acquis sur les marchés des capitaux de la CEMAC entre autres par des mécanismes de garantie curatifs clairs et efficaces.