CAMEROUN : Medic’Fund, le « Fonds d’investissement » des Médecins à l’épreuve du droit financier

Pour promouvoir l’investissement coopératif parmi ses membres, le Réseau des Médecins de District du Cameroun (Remedic) a lancé le 18 août dernier un “Fonds d’investissement” dénommé Medic’Fund. Une idée foncièrement innovante mais exposée à un fort risque juridique qui l’obligera (sans doute) à se conformer au droit financier.


Mus par une volonté de fructifier leurs revenus, les médecins de district organisés autour de l’Association Remedic, peuvent prendre des parts du fonds Medic’Fund à hauteur de 5000 l’unité. C’est ce qu’indique la note de service portant création du fonds. Si l’idée est innovante et à saluer, il n’en reste pas moins que l’objet auquel se destine le fonds risque de poser quelques difficultés juridiques au regard de la réglementation bancaire et financière applicable au Cameroun.


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En effet, Medic’Fund, aux termes de l’article 4 de la note susmentionnée, « a vocation à investir dans les domaines suivants :
– Emprunts (ou plutôt crédit) aux membres ;
– Prises de participation dans les entreprises médicales ;
– Crédit-bail des appareils biomédicaux pour les membres ;
– Investissements dans l’immobilier, l’agriculture ou les services pour ses membres
.

 

Octroi des crédits aux membres

Concernant l’octroi de crédit à ses membres, Medic’Fund se positionne à travers cette activité comme concurrent à un établissement financier au sens de la Convention de 1992 portant harmonisation de la réglementation bancaire dans les Etats de l’Afrique centrale et les textes qui la visent. Parmi ces textes compte le RÈGLEMENT N°01/17/CEMAC/UMAC/COBAC RELATIF AUX CONDITIONS EXERCICE ET DE CONTRÔLE DE L’ACTIVITE DE MICROFINANCE DANS LA CEMAC qui abroge le Règlement de 2002.

C’est ce Règlement de 2002 qui permettait aux associations de faire de la microfinance et donc des crédits. Désormais, il appert que l’octroi de crédit aux membres d’une association se rapporte à l’activité des établissements de crédit et des établissements de microfinance, notamment ceux de 1ère catégorie (Article 30 et suivants du Règlement de 2017) autorisés à accorder des crédits à leurs membres.

Sur ce point, l’exercice de l’activité de microfinance sans agrément peut exposer à des sanctions. L’article 105 du Règlement de 2017 précise : « Sans préjudice des sanctions que peut prendre, du même chef, la Commission Bancaire, est puni d’un emprisonnement de 3 mois à 2 ans et d’une amende d’un (01) million à 25 millions de francs CFA, ou seulement de l’une de ces deux peines, quiconque, agissant soit pour son compte, soit pour le compte d’une personne morale, a contrevenu aux dispositions et aux textes d’application du présent règlement pour défaut d’agrément pour l’exercice de l’activité d’établissement de microfinance tel que définies à l’article I du présent règlement ». Il y’a donc là un risque juridique pénal sauf si Medic’Fund demande un agrément d’EMF de 1ère catégorie.

Prise de participations

Si Medic’Fund prend des actions dans des entreprises, fussent-elles celles de ces membres, alors il va se livrer à du capital-investissement. Dans cette occurrence, cette pratique le rapproche du sens véritable de la notion de « fonds d’investissement ». C’est-à-dire une société financière dont l’objectif consiste à investir dans des sociétés sélectionnées pour leurs opportunités d’évolution. Les fonds d’investissement ou Private Equity se divisant en plusieurs catégories en fonction de leurs activités et orientations d’investissement, en fonds de capital-risque, fonds de capital développement ou encore fonds transmission…

Dans le même sens, si Medic’Fund doit procéder à des investissements dans l’immobilier ou l’agriculture, cela le place au minimum dans le sillage des fonds communs de placement immobilier (FCPI). Dans cette occurrence, les fonds faisant de la gestion collective de l’épargne des porteurs de parts doivent préalablement obtenir un agrément non pas auprès de la COBAC mais de la COSUMAF (Commission de surveillance du marché financier de l’Afrique centrale).
Dans un autre sens, en obtenant un agrément d’EMF, Medic’Fund peut également prendre des participations en toute légalité sans devoir se plier aux règles des Fonds de capital-risque.

Crédit-Bail

Au Cameroun, le crédit-bail est encadré. Cet encadrement est le fait de la Loi N° 2010/020 du 21 décembre 2010 portant organisation du crédit-bail au Cameroun. Ce mécanisme consiste en toute opération de crédit destinée au financement de l’acquisition ou de l’utilisation des biens meubles ou immeubles à usage professionnel.

Il consiste en la location des biens d’équipement, de matériel d’outillage ou de biens immobiliers à usage professionnel, spécialement achetés ou construits, en vue de cette location, par des entreprises qui en demeurent propriétaires. Ces opérations de location, quelle que soit leur dénomination, donnent au locataire la faculté d’acquérir, tout ou partie des biens loués, moyennant un prix convenu, tenant compte, au moins pour partie, des versements effectués à titre de loyers.


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Selon cette loi, les personnes pouvant exercer comme crédit bailleurs sont les établissements de crédit et les établissements de microfinance (une fois de plus). Il est donc nécessaire d’obtenir au préalable un agrément de la Commission Bancaire.

En réalité, le crédit-bail fait visiblement partie des opérations de crédits réservés aux établissements de crédit et de microfinance.

DMF.

En tout état de cause, Medic’Fund se prémunirait contre le risque juridique s’il obtenait plutôt un agrément d’établissement de microfinance, même de première catégorie. C’est-à-dire un EMF qui procède à la collecte de l’épargne de ses membres, qu’il emploie en opérations de crédit, de participation et de crédit-bail au profit de ceux-ci.

DMF