DROIT INTERNATIONAL PRIVE DES CRYPTOACTIFS : Que contiennent les 19 principes que UNIDROIT veut adopter ?


Dr Willy ZOGO


L'Institut international pour l'unification du droit privé (UNIDROIT), organisation intergouvernementale indépendante, vient de publier un projet de 19 principes sur les actifs cryptés et le droit privé. Ce projet de principes uniformes fait suite à une consultation publique internationale ouverte. Incursion dans l'essentiel de ces 19 principes qui pourraient irriguer les droits continentaux et nationaux... mais qui restent soumis aux commentaires jusqu'au 20 février 2023...

A travers 7 sections, les 19 principes UNIDROIT sur les actifs numériques précisent le champ d’application et les définitions, le droit international privé, le contrôle, la garde, les opérations et les garanties, le droit procédural, y compris les voies d’exécution et l'insolvabilité. 

Principe 1 : Le champ d'application : les principes portent sur la détention, le transfert et les garanties

UNIDROIT s'est limité à traiter du droit privé relatif aux actifs numériques. Le but est de fixer des lignes directrices aux Etats pour permettre à leur droit privé d'être conforme aux meilleures pratiques et aux normes internationales en ce qui concerne la détention, le transfert et l'utilisation en tant que garantie des actifs numériques tels que définis par UNIDROIT.

Ces principes ne couvrent que les questions de droit privé relatives aux actifs numériques et, en particulier, aux droits de propriété. Ainsi, elles traitent spécifiquement des actifs numériques lorsqu'ils font l'objet de cessions et d'acquisitions, et lorsque des droits sur ces actifs doivent être opposés à des tiers.

Par principe, ces principes ne couvrent pas les règles qui doivent être appliquées par les autorités publiques (ce qui, dans de nombreuses juridictions, serait appelé "réglementation" ou "droit réglementaire"), en d'autres termes le droit souverain. 

Principe 2 : La conception des actifs cryptés de UNIDROIT

L'expression "actif numérique" désigne au sens des principes UNIDROIT, une ressource ou une donnée électronique qui peut être contrôlée ou soumise à un contrôle. En d'autres termes, toute donnée qui est stockée sur un support électronique et susceptible d'être récupérée.

En ce qui concerne le  "transfert" d'un actif numérique, on y associe le changement d'un droit de propriété sur l'actif numérique d'une personne à une autre. De plus, la procédure d'insolvabilité  y désigne une procédure collective judiciaire ou administrative, y compris une procédure provisoire dans laquelle, pour d'un redressement ou d'une liquidation, au moins l'un des éléments suivants s'applique aux biens et aux affaires du débiteur ; un contrôle ou d'une surveillance par un tribunal ou une autre autorité compétente ; la capacité du débiteur à les administrer ou à en disposer est limitée par la loi ...

Principe 3 : Un actif numérique peut faire l'objet de droits de propriété.

Les principes UNIDROIT prévalent sur les autres droits dans la mesure où ils sont en conflit. Par ailleurs, sous réserve des dispositions des principes UNIDROIT, les autres lois s'appliquent à toutes les questions, notamment celles de savoir qui possède un droit de propriété sur un actif numérique ? le droit de propriété sur un actif numérique a t-il été valablement transféré valablement à une autre personne ? Une sûreté sur un actif numérique a t-elle été valablement créée ? Quels droits existe t-il entre le cédant et le cessionnaire d'un actif numérique ? Quelles sont les conditions d'opposabilité d'une sûreté sur un actif numérique et ses conséquences juridiques ? 

Principe 4 : Actifs liés

Les Principes UNIDROIT s'appliquent à un actif numérique lié à un autre actif, que celui-ci soit corporel ou incorporel. Les autres lois s'appliquent pour déterminer l'existence, les exigences et l'effet juridique de tout lien entre l'actif numérique et l'autre actif.

Principe 5 : Conflits de lois

Globalement, les questions de propriété concernant un actif numérique sont régies par le droit interne de l'Etat (à l'exclusion des règles de conflit de lois de cet Etat) expressément désigné pour l'actif numérique comme étant la loi applicable. A défaut, sera appliqué, le droit interne de l'État (à l'exclusion des règles de conflit de lois de cet État) expressément spécifié dans le système ou la plate-forme sur lequel l'actif numérique est enregistré comme étant la loi applicable à ces questions ;

Principe 6 : Définition du contrôle

Une personne a le "contrôle" d'un actif numérique si cet actif numérique, ou le protocole ou système pertinent, le lui confère ou alors si le protocole ou système pertinent confèrent à cette personne, soit la capacité exclusive d'empêcher des tiers d'obtenir, soit la capacité exclusive d'empêcher d'autres personnes d'obtenir substantiellement tous les avantages de l'actif  numérique ; soit la capacité d'obtenir la quasi-totalité des avantages de l'actif numérique ou encore la capacité exclusive de transférer les capacités sus-évoquées.

Principe 7 : Identification d'une personne ayant le contrôle d'un actif numérique

Dans toute procédure dans laquelle le contrôle d'un actif numérique par une personne est en cause, il suffit à cette personne de démontrer que l'exigence d'identification du principe 6 (dans une certaine mesure) est satisfaite. Si cette personne démontre qu'elle possède certaines capacités spécifiées au principe 6, celles-ci sont présumées exclusives. Cette identification peut se faire par un moyen raisonnable, y compris (mais sans s'y limiter) un numéro d'identification, une clé cryptographique, un bureau ou un numéro de compte...

Principe 8 : Acquisition de bonne foi

Afin d'être qualifié d'acquéreur de bonne foi, un cessionnaire doit  :

  • obtenir le contrôle d'un actif numérique ; et [ l'Etat devrait spécifier des exigences équivalentes à celles qui figurent dans ses règles pertinentes relatives à l'acquisition de bonne foi, au caractère définitif et à la liberté d'appropriation],
  • prendre un actif numérique libre de droits de propriété conflictuels ("revendications de propriété"),
  • aucun droit fondé sur une revendication de propriété relative à un actif numérique ne peut être revendiqué avec succès contre un acquéreur de bonne foi de cet actif numérique.
  • peut acquérir un droit de propriété sur un actif numérique, même si le contrôle de cet actif numérique est modifié par un cédant qui agit à tort et n'a pas de droit de propriété sur ledit actif numérique.

Dans ce principe 8, le terme "actif numérique" inclut l'actif numérique dérivé.

Principe 9 : Droits du cessionnaire

Sous réserve du principe 8, une personne ne peut transférer que les droits de propriété qu'elle détient sur un actif numérique, le cas échéant, et aucun droit de propriété supérieur. Par ailleurs, le bénéficiaire d'un transfert de droits de propriété sur un actif numérique acquiert tous les droits de propriété que son cédant possédait ou avait le pouvoir de transférer, sauf que le cessionnaire acquiert des droits uniquement dans la mesure des droits qui ont été transférés.

Principe 10 : Conservation par le dépositaire des actifs

Le terme "dépositaire" désigne une personne qui fournit des services à un client conformément à un contrat de garde ou conservation. Cela implique le sous-dépositaire, auquel cas, le terme "client" désigne le dépositaire qui est le client du dépositaire. Le "client" est quant à lui une personne à laquelle un conservateur fournit des services en vertu d'un contrat de garde d'actifs.

Un dépositaire conserve un actif numérique pour un client si ce dépositaire contrôle l'actif numérique ; ou si ce dépositaire conclut une convention de garde, telle que sus-définie avec un sous-dépositaire concernant l'actif numérique dans les  numérique dans les circonstances énoncées au principe 11(4). Il y'a prestation de services à un client relativement à un actif numérique et donc un accord de garde (convention de tenue de compte) si : 

  • le service est fourni dans le cadre ordinaire de l'activité du prestataire de services ;
  • le prestataire de services est obligé d'obtenir (si ce n'est pas encore le cas) et de conserver l'actif numérique.
  • le client n'a pas la capacité exclusive de modifier le contrôle de l'actif numérique au sens de la Loi sur la protection des données. 

La relation entre le dépositaire et le client peut exister nonobstant le fait que le client puisse agir en qualité de mandataire pour le compte d'un tiers en ce qui concerne l'actif numérique. 

Principe 11 : Obligations d'un dépositaire envers son client

Le dépositaire a les obligations suivantes envers son client :

  • il n'est pas autorisé à transférer le bien numérique, ni à l'utiliser à son propre avantage, sauf dans la mesure où le client l'y autorise ;
  • il est tenu de se conformer à toute instruction donnée par le client pour le transfert de l'actif numérique le client de transférer l'actif numérique ;
  • il est tenu de sauvegarder le bien numérique.

Sauf si la convention de garde ou une autre loi l'interdit, le dépositaire peut conserver en indivision les actifs numériques fongibles de deux ou plusieurs de ses clients en un pool indivis. 

Principe 12 : Le client de bonne foi 

Lorsqu'un dépositaire conserve un actif numérique conformément à un contrat de garde tel que défini dans les principes 10(3) et 10(4), aucun droit fondé sur un droit de propriété sur ce bien ne peut être revendiqué avec succès contre le client. Cela ne s'applique pas si le client, à partir du moment où le dépositaire conserve le bien numérique pour ce client, sait ou devrait savoir qu'une autre personne a un intérêt dans le bien numérique et que l'acquisition viole les droits de cette autre personne. 

Principe 13 : L'insolvabilité du dépositaire des actifs numériques 

Si un dépositaire est placée sous procédure d'insolvabilité, l'actif numérique qu'il conserve pour un client en vertu d'un contrat de garde ne fait pas partie de cette procédure et donc de la masse d'insolvabilité de ce dépositaire.
Le syndic de l'insolvabilité doit prendre des mesures raisonnables pour que le contrôle des actifs numériques conservés pour son client soit transféré au contrôle de ce client ou d'un dépositaire désigné par ce client.
Lorsqu'un dépositaire a conclu un contrat de garde avec un sous-dépositaire concernant un actif numérique faisant l'objet d'un contrat de garde et que le dépositaire fait l'objet d'une une procédure d'insolvabilité, les droits qu'il a à l'encontre du sous-dépositaire en ce qui concerne l'actif numérique conservé pour le compte du client. 

Principe 14 : Les garanties 

Les actifs numériques peuvent faire l'objet de sûretés réelles mobilières. Si un actif numérique est lié à un autre actif, une autre loi s'applique pour déterminer l'effet juridique sur cet autre actif de la constitution d'une sûreté sur cet actif numérique est rendue opposable aux tiers.

Principe 15 : Le contrôle comme moyen d'assurer l'opposabilité aux tiers

Une sûreté sur un actif numérique peut être rendue opposable aux tiers par le contrôle de l'actif numérique, tel que défini dans le Principe 6(1), si l'une des conditions suivantes est remplie : (a) le créancier garanti le contrôle l'actif numérique ; ou un dépositaire conserve l'actif numérique pour le créancier garanti. 

Principe 16 : Priorité des sûretés réelles mobilières sur les actifs numériques 

Une sûreté sur un actif numérique qui est rendue opposable par un contrôle conformément au Principe 15, a priorité sur une sûreté sur un actif numérique qui n'est rendue opposable aux tiers que par une méthode autre que le contrôle. 

Principe 17 : Réalisation des sûretés sur les actifs numériques

La réalisation d'une sûreté sur un actif numérique est soumise à d'autres lois, notamment à l'obligation de procéder de bonne foi et dans un délai raisonnable. Si une sûreté sur un actif numérique conservé par un dépositaire est rendue opposable autrement que par le contrôle, le créancier garanti n'a le droit de réaliser sa sûreté qu'en vertu d'une décision d'un tribunal ou d'une autre ou d'une autre autorité publique, à moins que le dépositaire n'en convienne autrement.

Principe 18 : Droit procédural, y compris l'exécution

En ce qui concerne les questions de procédure, y compris l'exécution, relatives aux actifs numériques, une autre loi s'applique. 

Principe 19 : Les effets de l'insolvabilité sur les droits de propriété sur les actifs numériques

Un droit de propriété sur un actif numérique qui a été rendu opposable aux tiers en vertu des principes UNIDROIT ou d'une autre loi est opposable au représentant (syndic) de l'insolvabilité. Ceci n'affecte pas l'application de toute règle de droit matériel ou procédural applicable en vertu de la loi sur les Principes UNIDROIT ou d'une autre loi telle que toute règle relative  :

  • au classement des catégories de créances ;
  • à l'annulation d'une opération en tant que préférence ou transfert en en fraude des créanciers ;
  • l'exécution des droits sur un actif qui est sous le contrôle ou la surveillance du représentant de l'insolvabilité. 

En rappel, ces principes fixent le droit matériel utile au règlement des litiges de droit privé à caractère international. Ils laissent la définition des cadres réglementaires aux Etats et aux communautés (CEMAC, UEMOA, RCA, Union Européenne, etc...).