CAMEROUN | TRIBUNE ( Me Brice WAKAP) : Nouvelle loi sur le secteur ferroviaire : entre modernité et pesanteurs


Par Me Brice WAKAP CHONGANG 


Longtemps resté sous l’égide du Code de Commerce de 1808, de la loi n°74/10 du 16 juillet 1974 relative à la police et à la sécurité du chemin de fer, assortie du décret d’application n°75/588 du 20 août 1975, et de quelques arrêtés à l’instar de l’arrêté n°05/000221/A/MINEFI/MINT/MINDAF du 07 décembre 2005 portant dévolution du patrimoine de l’ex-Régie Nationale des Chemins de fer du Cameroun, la réglementation du secteur ferroviaire Camerounais avait besoin d’une cure de jouvence. Ce besoin qui se faisait lancinant a enfin reçu un écho favorable depuis le 25 juillet 2023 à la faveur de la loi n°2023/010 du 25 juillet 2023 régissant le secteur ferroviaire au Cameroun. Cette loi brille par sa densité et sa modernité (I), bien que des pesanteurs ont été décelées (II).

I. LA DENSITE ET LA MODERNITE DE LA NOUVELLE LOI

Le principal objectif de cette loi est de créer un cadre juridique clair et cohérent pour le développement, la gestion et l’exploitation du réseau ferroviaire au Cameroun. Cette loi définie la consistance du domaine ferroviaire, fixe le régime de gestion du réseau ferroviaire, organise la sécurité ferroviaire, et va un peu plus loin organiser la protection civile et environnementale du secteur sans préjudice de la réglementation des professions et du contentieux ferroviaire. Sans rentrer dans les détails sur chaque point, notons que la densité et surtout la modernité du texte sont en substance perceptibles à cinq niveaux.

Premièrement, le législateur camerounais a opté pour un changement de paradigme en séparant désormais l’exploitation du service de transport ferroviaire, de la gestion de l’infrastructure ferroviaire. Cette séparation déjà opérationnelle dans les grands pays ferroviaires est une nécessité comptable dans l’optique de veiller à une traçabilité des coûts et des besoins de chaque compartiment.

Cette séparation a donc amené le législateur a bien définir la consistance du patrimoine ferroviaire désormais confiée une structure chargée d’en assurer la gestion pour le compte de l’Etat au sens de l’article 12 du nouveau texte : La société de patrimoine ferroviaire.

Deuxièmement, la consécration d’une autorité de régulation du secteur ferroviaire. La mise en place d’une autorité de régulation par le nouveau texte est une exigence de l’article 14 du Règlement CEMAC du 17 février 1999 portant Charte des investissements qui prescrit l’instauration d’une autorité de régulation lorsqu’un service public est l’objet de monopole. Cette autorité joue également un rôle décisif dans la sécurité ferroviaire puisqu’elle est chargée de l’approbation du cahier de charge afférant à toute acquisition du matériel roulant ferroviaire, au sens de l’article 81 de la loi nouvelle. Cette approbation préalable du régulateur avant l’acquisition du matériel roulant est une innovation sans doute impulsée par l’accident ferroviaire d’Eséka du 21 octobre 2016, sinistre autour duquel la qualité du matériel roulant avait été incriminée.

Troisièmement, ce texte fixe les linéaments pour une ouverture du marché du service de transport ferroviaire camerounais à la concurrence. Pour ce faire, il a mis en place un régime de gestion du réseau ferroviaire flexible au travers la concession (tant aux Collectivités Territoriales Décentralisées qu’aux exploitants privés), la licence, l’autorisation, et la déclaration. L’on note à cet égard la possibilité donnée aux Collectivités Territoriales Décentralisées ou à un regroupement de Collectivités Territoriales Décentralisées de construire un réseau ferroviaire de transport urbain (articles 43 et 44), à côté du réseau ferroviaire national. 

Cette ouverture du marché à la concurrence a pour corollaire « le respect des règles relatives à la concurrence et à l’interopérabilité » prescrit par l’article 55, sans préjudice des articles 65 et 66 qui encadrent un code de conduite et de la concurrence. Cette volonté d’ouverture du secteur à la concurrence est également perceptible à travers la gestion, sous l’égide du régulateur, des différends potentiels entre exploitants ferroviaires ou entre eux et les usagers. A ce titre, le législateur a privilégié la médecine juridique douce via les modes alternatifs de règlement des différends et notamment la conciliation et l’arbitrage.

Quatrièmement, cette loi régit la sécurité et la qualité des services. En effet, elle met l’accent sur la sécurité des opérations ferroviaires en établissant des normes strictes en matière de maintenance, de formation du personnel, et de gestion des risques. Elle encourage également l’amélioration de la qualité des services pour répondre aux besoins des usagers en veillant sous la houlette du régulateur à la transparence et à l’équité dans la tarification des services ferroviaires.

Enfin, cette loi exalte sa modernité à travers des prévisions sur la protection de l’environnement. La protection de l’environnent est un enjeu moderne en droit des transports. A ce titre, le texte intègre des mesures visant à atténuer l’impact environnemental des activités, en encourageant l’utilisation de technologies respectueuses de l’environnement et la gestion durable des ressources. 

II. LES PENSANTEURS DECELLEES

En dépit de la densité et de la modernité du texte en débat, l’on note quelques omissions majeures, et quelques obstructions à l’effectivité de la nouvelle loi.

Relativement aux omissions majeures. La nouvelle loi n’a pas fixé le régime de responsabilité du transporteur ferroviaire ni dans son principe, encore moins dans son plafonnement. Devrait-il continuer à être régie par les vétustes dispositions des articles 103 et suivants du Code du commerce d’une part et les conditions générales de vente de CAMRAIL d’autre part? Le législateur a préféré pénaliser le non-respect de certaines obligations contractuelles à travers un dense régime de sanctions pénales (articles 126 à 158). Cette option est au demeurant curieuse!

Aussi, le nouveau texte n’a pas encadré le régime d’indemnisation des victimes d’accident ferroviaire et s’est limité à imposer aux exploitants ferroviaires la souscription de diverses polices d’assurances spécifiées aux articles 88 à 93. Or l’on aurait souhaité que le Code fixe un planché d’indemnisation en cas d’accident mortel comme en matière de transport aérien (Décret n°2009/0052/PM du 22 Janvier 2009 fixant la responsabilité du transporteur aérien et les règles de compensation en cas de dommages causés aux passagers, aux bagages et aux marchandises.)  .

Relativement aux obstructions à l’effectivité du nouveau dispositif. Il y a lieu de souligner que le nouveau texte a opéré un renvoie quasi-systématique à des décrets d’application ou à des textes particuliers. Il suffit pour s’en convaincre de constater que le texte n’est point effectif sur l’organisation et le fonctionnement de la société de patrimoine ferroviaire lesquels seront fixés par décret du Président de la République (article 14) ; de même en est-il en ce qui concerne l’organisation et le fonctionnement de l’autorité de régulation (article 19). En outre, les modalités d’application du régime de la concession ferroviaire seront fixées par voie réglementaire (article 58).

Dans le même sillage, les règles relatives à la police et la sureté ferroviaires sont renvoyées à des textes particuliers (article 86). Les métiers ferroviaires annoncés en grande pompe dans le code seront précisés par des textes particuliers (article 102). Les modalités d’application des sanctions administratives seront fixées par voie réglementaire (article 124). Sans être exhaustif, ces renvois à des textes particuliers constituent des obstructions à la mise en application effective de la nouvelle loi. Il faut donc espérer que ces textes particuliers soient rapidement adoptés pour le bon fonctionnement de notre environnement ferroviaire qui se veut évolutif.

REMARQUES CONCLUSIVES

Loin d’être une simple réponse favorable aux propositions formulées dans les travaux de thèse d’un auteur 3 , cette codification réelle du secteur ferroviaire apportera à coup sûr une sécurité juridique dans ce domaine dont l’expansion est souhaitée en tant que sous-mode de transport de lourd tonnage, écologique et surtout économique.

----

Par Me WAKAP CHONGANG Brice - Docteur Phd en Droit privé (Université de Dschang), Avocat au Barreau du Cameroun (Douala), Vice-Président de l’Association Camerounaise pour le Bien-Etre des Consommateurs (ACABEC) | Association dûment déclarée suivant récépissé n°543/2022/RDA/C19/SAAJP.