DMF : Docteur, félicitations pour votre Prix, alors pouvez-vous nous expliquer ce que représente ce Prix André Isoré pour les chercheurs en général et surtout pour vous ?
Merci. Au travers des prix décernés, la Chancellerie des Universités de Paris récompense l’excellence de la valeur universitaire et scientifique des thèses soutenues au cours de l’année civile précédant l’année d’attribution. Il s’agit donc d’une reconnaissance du travail de recherche effectué par les chercheurs franciliens c’est-à-dire inscrits en Île de France. C’est une fierté et un honneur pour moi que de faire partie des lauréats de cette année. J’ai obtenu le prix André Isoré, remis aux chercheurs en droit privé, qui s’ajoute aux prix solennels de la Chancellerie. Pour la petite histoire, André Isoré est un avocat (1891-1968) et homme politique français qui légua par testament son patrimoine à la Faculté de droit de la Sorbonne pour récompenser des thèses de doctorat.
La thèse est une aventure très solitaire, dont les fruits sont difficilement prévisibles. Recevoir ce prix est un encouragement pour moi à continuer dans la recherche. J’espère qu’il constitue également un encouragement pour les docteurs et doctorants africains à viser l’excellence.
DMF : Comment êtes-vous parvenue à candidater et à remporter ce prix, en tant que seule africaine ?
Les candidatures ne sont pas libres. Ce sont les universités qui sélectionnent puis proposent à la Chancellerie, les travaux de thèse de leurs étudiants. J’ai reçu au mois d’avril 2018 un courrier de l’université de Paris 1 Panthéon Sorbonne pour me demander de déposer un dossier à titre de candidature pour un prix de la Chancellerie des Universités de Paris.
DMF : Docteur, ce prix n’est pas le premier, puisque vous avez été deuxième au Prix Cyrille Bialkiewicz en 2017, qu’avez-vous donc apporté à l’OHADA avec votre travail sur « Le nouveau visage de la prévention en droit OHADA » ?
Il y a peu de doctrine sur la question pourtant essentielle, de la prévention des difficultés des entreprises dans l’espace OHADA. Mon travail est d’abord une mise au point sur l’état du droit en la matière. L’Acte uniforme sur les procédures collectives d’apurement du passif (AUPC) de 1998 est venu instituer, de manière inédite dans certains États membres de l’OHADA, une procédure judiciaire de prévention des difficultés des entreprises. Celle-ci s’articulait autour d’une procédure unique destinée à éviter la cessation de paiements des entreprises au moyen d’un concordat amiable. Plusieurs années après son adoption, l’AUPC a clairement montré ses faiblesses et ses incohérences. En 2015, l’espoir d’une politique préventive plus efficace et plus attractive renaît avec la révision de l’AUPC. Cette révision conduit non seulement à un toilettage du règlement préventif mais aussi à l’adjonction d’une nouvelle procédure de conciliation. J’explique en détail ce mécanisme de prévention dans ma thèse. Ensuite, j’ai démontré qu’enrichir la boîte à outils préventifs des entreprises ne suffirait cependant pas pour réduire les faillites dans la zone OHADA. Le temps me donne d’ailleurs raison puisque 3 ans après la réforme, on constate une très faible application de l’AUPC. Les États, l’OHADA et les juges doivent apporter des réponses adéquates aux défis d’application et d’effectivité de la loi de 2015. Dans ce travail, je relève donc un certain nombre d’obstacles juridiques, sociologiques, culturels, entre autres, etc à la mise en œuvre de l’AUPC et propose des pistes de solutions pour améliorer cette mise en œuvre.
DMF : A première vue, votre apport consiste dans une lecture qui va au-delà du positivisme, quelles autres contingences devant entrées en ligne de compte prescrivez-vous pour une meilleure prévention de la faillite des entreprises dans l’espace OHADA ?
En effet, il ne suffit pas qu’une loi soit bonne pour qu’elle soit appliquée car ce sont les hommes qui donnent vie à une loi et non le contraire. Il faut donc un mouvement positif de leur part, une prise de conscience, pour que les effets attendus de la loi soient visibles. Le bilan mitigé de l’ancien texte n’était pas seulement le fait de ses imperfections, mais aussi le résultat d’un ensemble de facteurs exogènes qui ont influencé son application, voire son effectivité. Dans mes travaux, je reviens sur l’aléa judiciaire qui reste une faiblesse de l’espace OHADA et qui affecte également la prévention des difficultés des entreprises dans cet espace. J’insiste donc sur la nécessité de renforcer la sécurité judiciaire dans les Etats car l’imprévisibilité des tribunaux, le manque de formation et l’indélicatesse de certains magistrats continuent d’éloigner les entrepreneurs des prétoires, ces derniers préférant abandonner leurs activités sans recourir aux procédures de prévention. Pour une meilleure application de la loi, il est impératif que les Etats adoptent des textes d’application des dispositions de l’AUPC relatives aux mandataires judiciaires. Enfin je parle des défis sociologiques et culturels liés à la révision de l’AUPC. Je m’interroge sur la pertinence de l’introduction d’un règlement préventif simplifié à destination des petites entreprises dans un contexte où la défiance des acteurs de l’informel vis-à-vis des institutions judiciaires est toujours d’actualité. Il faudrait plus que ces quelques lignes pour présenter les différentes ébauches de solutions que je propose, la thèse en question est disponible aux éditions LGDJ [NDR, Librairie générale de Droit et de jurisprudence] pour ceux qui veulent en savoir plus.
DMF : Docteur, vous avez soutenu votre thèse de doctorat le 8 mars 2017 après plusieurs années de travail avec votre Directeur de thèse, Pr François-Xavier Lucas, vous a-t-il soutenu ? De quelle manière ? et que vous a-t-il dit après ce prix ?
C’est l’occasion pour moi de redire toute ma reconnaissance au professeur Lucas qui a été un directeur de thèse particulièrement minutieux et pointu, pour mon plus grand bien. C’est un enseignant méthodique, précis, qui a une expertise reconnue en matière de procédures collectives. Ce fut un honneur pour moi de l’avoir comme encadreur.
DMF : Quels sont vos projets, l’enseignement ou l’avocature ? Puisqu’on sait que vous êtes une collaboratrice de Me Marie-Andrée Ngwé ?
En effet, je travaille avec Me Marie-Andrée Ngwé depuis quelques mois. C’est une expérience très enrichissante aux côtés d’une avocate d’expérience comme elle. Elle se consacre depuis quelques années à l’arbitrage et la médiation, qui ne sont pas mes matières de prédilection mais que je découvre avec beaucoup d’enthousiasme. Si je ne suis pas complètement fermée à l’idée de devenir avocate, enseigner est l’une de mes aspirations professionnelles.
DMF : En bout d’analyse, quel bilan pouvez-vous dresser de l’OHADA, en tant qu’institution de sécurité juridique et judiciaire pour les investisseurs ?
L’OHADA est une excellente réponse des Etats africains à la situation d’insécurité juridique qui régnait avant son avènement. D’importants bonds en matière de sécurité juridique, de nature à rassurer les investisseurs, ont été faits dans l’espace OHADA, au travers de l’adoption d’un certain nombre d’Actes uniformes. D’autres Actes sont en cours d’élaboration, un projet de code européen des affaires inspiré de l’OHADA a même vu le jour. C’est dire la crédibilité et le sérieux de cette démarche. L’enthousiasme n’est malheureusement pas le même en ce qui concerne l’impact de l’OHADA sur la sécurité judiciaire recherchée dans l’espace communautaire. En effet, dans la mesure où l’OHADA n’intervient pas dans l’organisation judiciaire des Etats, l’insécurité judiciaire demeure une question préoccupante pour les investisseurs.
Propos recueillis par Willy S. ZOGO