Désormais pour qu’une entité, c’est-à-dire une société anonyme puisse faire un appel public à l’épargne, elle ne doit justifier au minimum que de 10 millions de FCFA comme capital social. Telle est l’économie de la Décision N° CM/PCR/10/09/2018 portant fixation du capital social minimum des entités faisant appel public à l’épargne sur le marché financier ouest africain datant du 21 septembre 2018.
Qu’est ce qui change ?
D’entrée de jeu, précisons que l’appel public à l’épargne est une technique strictement encadrée (on exige une forte transparence de l’entreprise) qui permet à une société commerciale (ou une entité publique) d’aller sur la place publique et de demander au grand public de mettre de l’argent pour qu’elle puisse soit se constituer comme l’a fait la Société Métropolitaine de Douala, il y a peu, soit pour qu’elle s’agrandisse, ce qu’on appelle augmenter son capital.
L’intérêt, s’il en est, tient au fait que le droit des sociétés commerciales est de la compétence de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA). Et, l’appel public à l’épargne étant une opération d’investissement qui implique le démarchage financier, la vente et achat des actions et des obligations, cela revient à impliquer le marché financier et ces acteurs notamment ceux de surveillance.
Revenant au capital social minimum d’une société voulant faire appel public à l’épargne, on voit que l’article 824 de l’acte uniforme OHADA encadrant les sociétés commerciales parle 100 millions de FCFA.
« Le capital minimum de la société dont les titres sont inscrits à la bourse des valeurs d’un ou plusieurs Etats parties ou faisant publiquement appel à l’épargne pour le placement de leurs titres dans un ou plusieurs Etats parties est de cent millions (100.000.000) de francs CFA”.
“Le capital social ne peut être inférieur au montant prévu à l’alinéa précédent, à moins que la société ne se transforme en société d’une autre forme. En cas d’inobservation des dispositions du présent article, tout intéressé peut demander en justice la dissolution de la société. »
Ce qui interpelle
Il y a visiblement un nivellement du capital social minimum vers le bas en UMOA et cela est en contradiction avec le droit OHADA (rappelons que l’OHADA est commune à 17 pays et les marchés financiers d’Afrique centrale BVMAC et de l’Ouest BRVM recoupent 13 de ces 17 pays). En réalité, depuis un moment, l’UMOA veut développer un compartiment de sa bourse (BRVM) pour les Petites et moyennes entreprises (Pme) d’où le besoin de baisser la barre pour « améliorer leurs mécanismes de financement ».
Notons que les bourses de la CEMAC et de l’UEMOA avaient déjà des textes relatifs à l’appel public à l’épargne. En Afrique de l’Ouest c’est l’Instruction N°33 de 2009 du Conseil régional de l’épargne public et des marchés financiers (désormais dénommé Autorité des marchés financiers de l’UMOA), mais elle ne fixe pas un capital minimum.
Dès lors pour faire entorse aux règles exigeantes de l’OHADA, les ministres de l’UMOA convoquent l’article 916 de l’acte uniforme encadrant les sociétés commerciales qui dispose que « Le présent Acte uniforme n’abroge pas les dispositions législatives auxquelles sont assujetties les sociétés soumises à un régime particulier ».
On est tout de même intrigué par deux choses. D’une part, l’Acte uniforme parle d’abrogation, c’est-à-dire annulation de l’ancien par le nouveau, or dans l’espèce, la nouvelle décision est celle de l’UEMOA et elle ne peut annuler la disposition de l’OHADA, car en réalité, c’est le fleuve qui va vers la mer et non l’inverse. D’autre part, on a le vif sentiment que la disposition de l’OHADA exigeant 100 millions de FCFA est clairement difficile à déroger.
En tout état de cause, au moment où l’on s’attend à ce que les textes boursiers s’harmonisent avec l’OHADA, l’UMOA fait un placement sur l’attractivité de sa place boursière, quête l’innovation et l’ouverture avec cette posture dérogatoire au droit commun. « Specialia generalibus derogant » dit-on en latin comme quoi, le spécial déroge le général.
Willy ZOGO