FINANCE DURABLE | CAMEROUN : La Banque mondiale appelle à une législation favorable à l'économie verte


Par Willy ZOGO | 


Dans son dernier Rapport national sur le climat et le développement sur le Cameroun datant de 2022, la Banque mondiale explique pourquoi le pays est loin d'être compté parmi les bons élèves de la finance climatique et durable en Afrique Centrale et de l'Ouest, et ceci malgré son potentiel. 

Selon la Banque Mondiale, pour libérer tout le potentiel du secteur privé camerounais en matière de financements verts, il faudra éliminer plusieurs contraintes. Le rapport fait état de ce que les progrès en matière de développement au Cameroun sont entravés par la faible productivité rurale, la faiblesse de l'environnement des affaires pour les secteurs privés formel et informel, la fragilité croissante et la mauvaise gouvernance dans les secteurs public et privé. Ces contraintes, poursuit la Banque Mondiale, se sont aggravées avec la détérioration de la situation sécuritaire et la pandémie de COVID-19 et s’accentueront avec les défis croissants du changement climatique, de l'urbanisation et de la pression démographique.

Pour ces experts, alors que ces contraintes pèsent lourdement, il n’a pas été considéré comme une priorité de veiller à ce que des modèles d’entreprise durables soient intégrés aux plans d’affaires des entreprises privées. Jusqu’à présent (2022), l’approche de la plupart des entreprises au Cameroun, comme c’est souvent le cas dans le monde, consistait à se concentrer sur la réduction de leurs émissions de GES plutôt que sur la lutte contre les risques et les impacts actuels et en évolution du changement climatique.

Parmi les raisons de ce choix, il y a le risque et l’incertitude, les lacunes dans les connaissances, le manque d’outils de modélisation, la difficulté à promouvoir et à appuyer l’adaptation au sein de l’entreprise et le manque de motivation. La législation de 2013 du Cameroun sur les incitations à l’investissement privé ne prend pas pleinement en compte les préoccupations en rapport au changement climatique et gagnerait à être actualiser de manière à souligner les opportunités que le secteur privé pourrait saisir en promouvant une économie verte.

LES ZONES ANGLOPHONES EN AVANCE

Les moyennes et grandes entreprises des régions Sud, Sud-Ouest et Ouest sont « vertes ». Selon une analyse au niveau des entreprises qui s’appuie sur les données de l’Enquête de 2016 sur le climat des affaires au Cameroun, près de 56 pour cent des entreprises affirment avoir une politique « verte », caractérisées par des pratiques telles que la réduction de l’empreinte carbone, la réduction et le recyclage des déchets, et l’amélioration de l’efficacité énergétique des bureaux, en utilisant des
matériaux et des équipements respectueux de l’environnement et en dispensant un programme de formation écologique à tous les employés. Ces entreprises « vertes » sont généralement de taille moyenne à grande, et concentrées dans les zones où les activités rurales sont dominantes : Sud, SudOuest et Est. Ce serait une démarche prometteuse à suivre que d’appuyer les micro et petites entreprises pour leur permettre de rattraper leur retard. 

LES MARCHES FINANCIERS ET FINANCE VERTE

La mise en œuvre des CDN ne peut être réalisée sans l'engagement total du secteur privé, ce qui exige un changement dans le cadre des partenariats public-privé (PPP). Bien que le cadre juridique des PPP soit en place depuis plus de dix ans au Cameroun, la gestion des PPP varie d'un secteur à l'autre, certains ministères et agences gèrent des PPP de manière autonome sans l'implication des structures nationales de PPP. Les problèmes de gouvernance sectorielle, cependant, assombrissent les
perspectives et peuvent envoyer des signaux négatifs aux investisseurs potentiels.

Afin de parvenir à un consensus sur les plans relatifs aux grands projets hydroélectriques, il faut achever la restructuration du secteur de l'énergie et régler les questions financières y afférentes. Il existe un fort potentiel et une demande correspondante de la part du secteur privé, mais les incertitudes actuelles relative à la santé financière de l'opérateur national (Eneo), entre autres, empêchent les investissements. Les concessions portuaires soulèvent des difficultés. Un litige se pose en ce qui concerne le renouvellement de la concession du terminal à conteneurs de Douala et la nécessité d'améliorer la capacité des infrastructures (modernisation du port de Douala, raccordement de Kribi aux infrastructures routières ou ferroviaires) pour répondre à la demande future.

Par conséquent, une revue complète du cadre des PPP et de sa mise en œuvre, notamment le financement du Conseil d'appui à la réalisation des contrats de partenariat, l'unité PPP, viendrait en appui au développement de projets d'infrastructures climato-intelligents. Il sera essentiel d'assurer une mise en œuvre uniforme et efficace basée sur la capacité et le pouvoir fédérateur de la structure nationale de PPP, des ministères de tutelle et des agences, ainsi que de développer un portefeuille de PPP basé sur des évaluations sectorielles, de manière à créer une feuille de route pour la mobilisation de financements privés.

Le développement des marchés de capitaux camerounais est une voie pour accéder à des financements à long terme pour les investissements climatiques. Les obligations vertes - un produit financier innovant qui lève des fonds pour des projets de développement durable écologiquement adaptés pour accélérer l'atténuation et l'adaptation au changement climatique - pourraient permettre d’obtenir le capital nécessaire pour respecter les engagements climatiques du pays. Comme partout
sur le continent africain, les secteurs privé et public camerounais sont à la traîne par rapport à d'autres marchés émergents dans l'émission de ces obligations innovantes.

À court terme, l'utilisation de financements concessionnels représente une option viable pour combler le déficit entre le financement public et le financement du secteur privé, en particulier dans les secteurs où les investisseurs perçoivent un risque plus élevé ou l'accès à un financement à un prix raisonnable est limité. Le financement concessionnel peut être octroyé sous de nombreuses formes, telles des subventions, une assistance technique pour préparer les politiques de décarbonisation de l'industrie, ou une garantie des premières pertes.

RECOMMANDATIONS

La Banque mondiale a formulé plusieurs recommandations pour le Cameroun, certaines sont urgentes. Il s'agit entre autres de : 

  • Dans l’Agriculture climato-intelligente : le pays doit appuyer le portefeuille des neuf investissements prioritaires et intégrés de l’ACI ;
  • Appuyer la capacité d’agir des femmes dans l’adaptation au changement climatique et cibler les désavantages structurels des femmes exploitantes agricoles pour améliorer la productivité rurale et la sécurité alimentaire ;
  • Opportunités pour les villes de mettre en œuvre des politiques d’adaptation équitables ; planification équitable de l’adaptation et mobilisation communautaire avec des actions spécifiques aux aléas ;
  • Améliorer la performance d’exploitation des compagnies d’électricité (réduction des pertes) ; adopter une discipline pour le paiement des factures d’électricité par les entités publiques et entreprises publiques ; mettre en place des tarifs permettant le recouvrement des coûts ;
  • Investir dans des infrastructures scolaires climatointelligentes ;
  • Combiner l’assurance contre les risques climatiques et la protection sociale dans le cadre d’une approche globale de stratification des risques ;
  • Réforme des programmes d’enseignement et investissement dans les compétences climatointelligentes pour les secteurs critiques ;
  • Promulguer une loi/législation nationale relative au changement climatique décrivant les rôles, les responsabilités et les mandats des institutions nationales, et établissant des mécanismes de coordination clairement définis ;
  • Inclure dans la loi relative à la décentralisation des dispositions sur le rôle et les responsabilités des administrations locales en matière d’action climatique, y compris les lignes budgétaires pour le financement de l’action climatique ;
  • Opérationnalisation du comité interministériel pour contribuer à l’établissement d’une réponse à l’échelle de l’ensemble du gouvernement au changement climatique à travers l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques.