TRIBUNE/CAMEROUN : Dématérialisation des titres financiers et Loi des finances 2019

Si la tolérance administrative a depuis bientôt 5 ans, relativisé l’obligation de dématérialisation des valeurs mobilières instituée par la loi N° 2014/007 du 23/03/2014 fixant les modalités de dématérialisation des valeurs mobilières et par le décret N° 2014/3763 du 17 novembre 2014 fixant les conditions d’application de la loi sur la dématérialisation des valeurs mobilières au Cameroun, la loi des finances de 2019 a définitivement scellé le sort des contrevenants en prévoyant un dispositif de sanctions et de pénalités contre les Émetteurs et propriétaires de titres non dématérialisés. Pour mieux cerner les enjeux, il convient de revenir sur un certain nombre de problématiques préalables. 

1- Qu’est ce que la dématérialisation des valeurs mobilières ? 

Une valeur mobilière est un titre représentatif d’une participation (action) ou d’une créance (obligation) émis par des personnes morales publiques ou privées transmissibles par inscription en compte, qui confère des droits identiques par catégories et donne accès, directement ou indirectement, à une quotité du capital de la personne morale émettrice ou à un droit de créance général sur son patrimoine ou aux droits attachés. 

De ce fait, les valeurs mobilières sont de deux grands groupes à savoir l’action (qui est un titre de capital émis par une personne morale de droit privé ou public, conférant à son détenteur, la propriété d’une partie du capital de la société émettrice avec tous les droits y relatifs vote, dividendes, droit à l’information) et l’obligation (qui est un titre de créance représentant une partie d’un emprunt émis par une personne morale de Droit privé ou public).

Aussi, au sens de l’article 3-2 du décret précité, les titres d’emprunts publics négociables sur les marchés réglementés (titres d’emprunts obligataires…) émis par l’Etat, les CTD ou tout autre Établissement public ; les parts ou actions des OPCVM (Organismes de Placement Collectifs en valeurs mobilières) ; Les autres instruments financiers émis par l’Etat, les CTD ou tout autre Établissement public et négociables sur des marchés organisés (Bons et obligations du tresor, obligations à coupon zéro etc…) : sont également assimilés à des valeurs mobilières. 

En clair, la dématérialisation des valeurs mobilières est une opération de substitution des certificats physiques des titres, par l’inscription en compte des titres sous forme électronique. En d’autres termes, il s’agit de la transformation des valeurs mobilières physiques en titres numériques. La dématérialisation des valeurs mobilières est une exigence de sécurisation des titres sociaux, de simplification des opérations y relatives (cession, échange, négociation etc…) en modernisant et en numérisant le système de gestion des titres. Il s’agit également d’une exigence d’élimination des titres au porteur afin de densifier et viabiliser le marché financier en titres accessibles, négociables et traçables.

2- Quelles sont les entités concernées par la dématérialisation ? 

En ce qui concerne les sociétés privées émettrices de titres, la nomenclature de la loi de 2014 précitée fait référence à  ” la dématérialisation des valeurs mobilières ” qui sont des titres qui ne peuvent être émis que par des Sociétés Privées Anonymes. Aussi, il faut y associer les OPCVM qui sont des entités dont les parts sont assimilables à des valeurs mobilières.

En ce qui concerne les entités publics, il faut y voir les Sociétés à capitaux mixtes, les Sociétés publiques et parapubliques émettrices d’actions ; l’Etat, les CTD ou tout autre Établissement public émetteurs de titres d’emprunts ou de divers autres instruments financiers. La CAA (Caisse Autonome d’amortissement) est le dépositaire central transitoire qui cède sa place à la BEAC. C’est l’Organisme chargé du contrôle, du suivi et de la supervision des opérations de dématérialisation sur l’ensemble du territoire national. Elle assure la circulation des valeurs mobilières entre les partenaires par des opérations de virement de compte en compte et la conservation de ces valeurs. Elle assure également la sécurité et la fluidité des opérations au moyen d’une organisation comptable adéquate. À ce titre, la CAA [bientôt la BEAC] perçoit une Commission en rémunération de ses prestations sur la base des tranches de capital social avec un plafond de 100 millions de Fcfa. Les Teneurs de Compte-Conservateur sont des PSI (Prestataires de Services d’investissement) agréés à cet effet (auparavant par la CMF, aujourd’hui par la COSUMAF). Il s’agit des mandataires financiers qui assurent la gestion des titres qui leur sont confiés soit par les titulaires desdits titres (actionnaires) soit par les Sociétés émettrices. Aussi, ils assurent la dématérialisation effective des titres et effectuent toute opération les concernant en exécution des ordres et des instructions des titulaires des titres ou de leurs ayants-droit.Le mandat du Teneur de compte Conservateur doit être publié au Journal officiel ou dans un journal d’annonces légales.

3 – Comment se déroule le processus de dématérialisation ?

Il est à noter que la mise en oeuvre de la dématérialisation incombe aux Émetteurs. Envoi à la CAA, par la Société émettrice d’une demande de codification et de prise en charge de ses titres à laquelle sont joints : Un extrait du RCCM datant de moins de 03 mois ; Une expédition des Statuts de la Société émettrice ; Le registre des actionnaires en nominatif à jour ; Les noms de deux responsables habilités à dialoguer avec le Dépositaire Central ; Le Code d’activités suivant la Nomenclature des activités du Cameroun (NACAM). Les Sociétés effectuant cette première diligence bénéficient automatiquement de l’Attestation de Dématérialisation instituée par la loi des finances 2019. Le ramassage des titres physiques, l’inscription en compte et la gestion des événements sur valeurs (achat, cession, échange…)Destruction des titres physiques : les titres nominatifs sont transmis à la CAA pour destruction par les Sociétés Émettrices (au plus tard 10 jours après l’inscription en compte).

4- Quelles sont les sanctions à la non dématérialisation ? 

Pour les émetteurs : Risque de non délivrance du quitus fiscal courant 2019 ; Amendes pécuniaires du fait de l’absence du quitus fiscal ; Diverses autres pénalités relatives aux autres étapes du processus de dématérialisation dès 2020.

Pour les propriétaires des titres : Perte des droits attachés aux actions (vote, dividendes, cession, droit à l’information…) vente forcée des droits correspondants aux titres non inscrits en compte et reversement du produit des ventes dans les caisses du Trésor public ; le produit de la vente reversé au trésor public se prescrit après 30 ans. In fine, l’article 13 de la loi de 2014 précitée dispose que << À l’expiration d’un délai de deux (02) ans à compter de la promulgation de la présente loi, il est interdit d’émettre sur le territoire de la République du Cameroun, des Valeurs Mobilières sous formes non dématérialisées. >> Dans le même sens l’article 26 du Décret de 2014 précité prévoit que << Les sociétés émettrices des valeurs mobilières disposent d’un délai d’un an à compter de la publication du présent décret pour faire codifier et inscrire en compte leur émission auprès du Dépositaire Central >> . À ce titre la dématérialisation des valeurs mobilières émises sur l’ensemble du territoire Camerounais a été rendue obligatoire par ces deux textes. Toutefois depuis 2014, on observe une réticence pour les Émetteurs potentiels à procéder à cette dématérialisation et une tolérance passive de l’administration en charge du processus. Toutefois, la loi des finances de 2019 en prévoyant des sanctions et des pénalités contraignantes, semble sonné la fin de la récréation. Aussi, la CMF (Commission des Marchés Financiers) avait déjà agréé différents PSI à l’instar de la ” SG CAPITAL SECURITIES ” filiale de la banque SOCIÉTÉ GÉNÉRALE CAMEROUN, qui offre des services de Teneur de Compte-Conservateur. Espérons que tout cela ajouté à la désignation future d’un dépositaire central unique au plan sous-régional, contribuera à densifier le processus de dématérialisation pour in fine dynamiser le Marché des Titres dans la sous-région.

Boris MINLO ENGUELE

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