CEMAC | Gouvernance de la BEAC, après un conflit d'interprétation des normes, MAHAMAT TOLLI part


Par Jesus POUTH |


Yvon SANA BANGUI est le nom du tout nouveau gouverneur de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale. Le nom du centrafricain de 50 ans qui se murmurait déjà dans les coulisses, a été officialisé à l’issue du sommet extraordinaire des chefs d’Etat de la BEAC tenu ce vendredi 9 février 2024 par visioconférence dans un contexte marqué par une crise d'interprétation des normes régissant la banque centrale et sa gouvernance.  

Yvon Sana Bangui

La désignation du centrafricain quinquagénaire comme nouveau gouverneur de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC) vient mettre fin à une ‘’saga juridico-contentieuse ’’ lancée le 6 février 2024, date de la fin du mandat de sept ans de son prédécesseur.

En effet, par courrier N°052/2024 signé du Directeur Général du Contrôle Général, Blaise Eugène Nsom a informé au gouverneur de la Banque des Etats de l’Afrique-Centrale dont le mandat est arrivé à expiration le 6 février 2024, jour de la signature du courrier susmentionné, qu’il n’a plus habilitation légale à être représentant du pays dont il est originaire au sein du gouvernement de la BEAC. Le gouverneur sortant a taxé cette constatation de vacance à son poste de nulle et non avenue déclenchant ainsi un conflit ouvert dans l'interprétation des textes en la matière.

Dans ses motivations, le DGCG parle des prérogatives rattachées à sa fonction de Directeur Général du Contrôle Général. En juge de conformité, garant du strict respect des textes auxquels la Banque est assujettie et ce, par toutes les parties prenantes, il s'arc-boute sur les dispositions des statuts révisés et mis à jour depuis novembre 2021, qui régissent la BEAC.

CE QUE DISENT LES TEXTES EN VIGUEUR

Les dispositions dont se prévaut le DGCG pour déclarer la vacance au poste de gouverneur de la BEAC concernent principalement les articles 50 (...La durée du mandat du Gouverneur est de sept (7) ans non renouvelable) ; 51 alinéa 3 (Le Conseil d'Administration décide de l'affectation des Directeurs Généraux, sur proposition du Gouverneur) ; 51 alinéa 4 (Les actes de nomination des membres du Gouvernement de la Banque Centrale, adoptés en application des articles 50 et 51.1, précisent la date de début de leurs mandats respectifs. Les autorités compétentes veillent à procéder auxdites nominations dans des délais compatibles avec la continuité du service) et 52 (Le Gouverneur est secondé et, en cas d'empêchement ou d'absence, supplée dans l'exercice de ses fonctions par le Vice-Gouverneur) des Statuts de la BEAC. Elles précisent ainsi les conditions de nomination, la durée précise et les aspects relatifs à la gestion de la vacance du poste de Gouverneur.

Dans le cas d'espèce, ABBAS MAHAMAT TOLLI est aux commandes de la BEAC par décision N°07116-CEMAC-CCE du 30 janvier 2016 signée du  Président de la Conférence des Chefs d'États de la CEMAC d’alors, Son Excellence, Monsieur Teodoro OBIANG NGUEMA MBASOGO, « pour un mandat de sept ans non renouvelable », à compter de la date effective de prise de service ». 

Or cette prise de service effective marquée par la passation des charges entre le gouverneur entrant ABBAS MAHAMAT TOLLI et le sortant ABAGA NCHAMA Lucas a lieu le 6 février 2017. Son mandat arrivé à expiration depuis le 6 janvier 2024, Il y a donc mathématiquement ‘’vacance au poste du Gouverneur de la BEAC, et ce, depuis le 7 février 2024 au matin’’ comme mentionné dans le courrier querellé.

En conséquence le juge de conformité, le DGCG fait depuis lors appliquer les dispositions de l’article 52 des statuts : ‘’Le Gouverneur est secondé et, en cas d'empêchement ou d'absence, suppléé dans l'exercice de ses fonctions par le Vice-Gouverneur’’.

‘’NULLE ET NON AVENUE’’

Le gouvernement sortant de la BEAC n’est pas prêt à céder aux ‘’provocations récurrentes’’ encore moins à quitter son poste comme l’en atteste sa correspondance non datée mais signée et adressée au Vice-Gouverneur, au Secrétaire Général ainsi qu’aux Directeurs Généraux. Après avoir déclaré nul le texte portant ‘’arrêt des activités de Monsieur le Gouverneur’’, il a tôt fait de la classer au registre de provocations récurrentes et de comportement autoritaire de Monsieur Nsom (Ndlr). Lequel comportement ‘’se manifeste par des actes et des initiatives contraires au bon sens ainsi qu'aux règles d'éthique et de déontologie professionnelle de la Banque Centrale. Et de renchérir, les abus d'autorité et les agissements non professionnels de Monsieur NSOM prennent souvent la forme de directives aux services opérationnels, en violation des dispositions de l'article 4.2 de la Charte d'Audit, qui stipulent la non-ingérence du DGCG dans des responsabilités opérationnelles, voire de menaces envers les responsables métiers. Le gouverneur sortant croit savoir que le DGCG instrumentalise le dispositif de contrôle de la Banque à des fins de règlements de compte personnels’’.

Il rappelle par ailleurs que ‘’la nomination du Gouverneur relève exclusivement de la compétence de la Conférence des Chefs d'État de la CEMAC. La procédure de passation des charges est clairement établie et sera assurée par le Président du Comité Ministériel de l'UMAC. Et donc,. II n'appartient  pas au DGCG de créer ses propres normes au sein de la Banque Centrale. À ce jour, aucun responsable institutionnel de la CEMAC n'a quitté ses fonctions sans que la Conférence des Chefs d'État n'ait préalablement nommé son remplaçant’’. 

En fin de compte, les présidents réunis en conférence ont tranché en sage et l'ordre est de retour dans la maison.