BLANCHIMENT DES CAPITAUX | CEMAC : Comment les lignes directrices de la COBAC de février 2025 s'alignent sur les standards internationaux du GAFI


Par Daniel Patriarche DIBONGUE |  Juriste fiscaliste, Expert de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (Afrique & Union européenne) | 


ANALYSE | Avec l'ensemble des nouvelles normes édictées depuis 2024, les autorités bancaires de la CEMAC ont placé le dispositif communautaire anti blanchiment au même niveau que les standards1 du Groupe d’Action Financière (GAFI).  Petite analyse des lignes directrices de la COBAC du 25 février 2025. 

DIBONGUE Daniel Patriarche, Expert LCBFT (c) DMF

L’évolution du monde a très souvent été ponctuée par de nombreux défis, et la lutte contre les crimes financiers a toujours occupée une place de choix. Plus particulièrement la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme s’est imposée depuis plusieurs décennies déjà comme une priorité mondiale portée par des organisations internationales notamment le Groupe d’Action Financière (GAFI)2 qui définit des standards internationaux à partir desquels les États membres de la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) fondent leur cadre juridique et institutionnel anti blanchiment, sous l’impulsion de la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC)3. Cet arsenal juridique et institutionnel vise non seulement à encadrer les institutions financières, mais aussi à protéger l’intégrité de l’ensemble du système bancaire régional et de préserver la stabilité économique. 

C’est dans ce contexte que la COBAC a récemment4 publié une importante réglementation constituée d’un règlement relatif aux diligences des établissements assujettis en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération5. Pour aller plus loin dans la compréhension et la mise en œuvre de façon efficiente de ce règlement, la Commission bancaire a publié plus d’un an après des lignes directrices6 expliquant aux parties prenantes comment appliquer les règles essentielles en matière de lutte contre les crimes financiers7. Il s’agit de six lignes directrices8 qui doivent clarifier et guider l’application du dispositif en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux9.

Cependant, au-delà de l’existence de ces règlements et de ces lignes directrices en matière de lutte contre LBA/FTP), la question de leur conformité aux standards internationaux et de leur capacité à atteindre les objectifs de protection de l’ensemble de l’intégrité du système financier reste centrale. L’analyse des dispositifs récemment adoptés par la COBAC et plus particulièrement ses lignes directrices permettent ainsi de se poser la double question de savoir :

  • Dans quelle mesure le dispositif LBA/FTP récemment adoptés par la COBAC s’aligne- t-il sur les standards internationaux du GAFI ?
  • Par ailleurs, quels enseignements peut-on tirer d’une comparaison avec le cadre belge pour renforcer la résilience du dispositif AML/CFT en Afrique centrale ?

Ce nouveau cadre règlementaire représente des enjeux très importants pour les institutions financières en les soumettant aux nouvelles obligations de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme et de la prolifération telles que :

  • La connaissance du client
  • La surveillance du client et ses activités
  • La surveillance des opérations suspectes

Et si les lignes directrices qui les accompagnent sont réellement mises en œuvre, la CEMAC aura ainsi franchi un étape importante dans la viabilité des pays de la sous-région en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, et en matière d’investissement par la même occasion.

  1. LIGNE DIRECTRICE N°1-2025 relative à l’identification de la clientèle
  2. LIGNE DIRECTRICE N°2-2025 relative aux relations d’affaires
  3. LIGNE DIRECTRICE N°3-2025 relative aux bénéficiaires effectifs
  4. LIGNE DIRECTRICE N°4-2025 relative aux Personnes Politiquement Exposées (PPE)
  5. LIGNE DIRECTRICE N°5-2025 relative aux relations de correspondance bancaire
  6. LIGNE DIRECTRICE N°6-2025 relative aux déclarations d’opérations suspectes.

Nous nous proposons de les passer succinctement en revue :

LIGNE DIRECTRICE N°1-2025 relative à l’identification de la clientèle10

Elle implique une obligation d’identifier et de vérifier le client. 

Que signifie identifier un client ?

  • Une personne physique est identifiée par des documents officiels (passeport, carte d’identité, justificatif de domicile) à partir desquels on distingue son nom, son prénom, sa date et lieu de naissance, sa nationalité, adresse…)11.
  • Une personne morale (Société, association) est identifiée par un registre légal d’immatriculation, un statut juridique avec des représentants autorisés et des bénéficiaires effectifs clairement identifiés12.

En plus de collecter les documents les documents, l’obligation n’est complète que si les documents sont vérifiés.

Que signifie vérifier un client ?

  • Pour une personne physique, vérifier l’authenticité des informations fournies
  • Pour une personne morale, vérifier la ou les personnes physiques qui, en dernier ressort, contrôlent ou profitent réellement des fonds (actionnaires majoritaires, les propriétaires réels).

Pourquoi identifier et vérifier un client ?

  • Permet de savoir qui est réellement mon client et pourquoi agit-il
  • Permet d’évaluer le risque associé au client (faible, moyen, élevé)
  • Permet de détecter les anomalies ainsi que les opérations suspectes
  • Permet de respecter les obligations de vigilance continue
  • Permet de répondre aux autorités en cas de d’enquête ou réquisition

LIGNE DIRECTRICE N°2-2025 relative aux relations d’affaires

  • Identifier et vérifier le client
  • Évaluer le risque du client (classement de niveau de risque)
  • Surveiller continuellement le client et ses opérations (Due diligence)
  • Refuser ou résilier la relation d’affaire avec le client selon les cas. 

LIGNE DIRECTRICE N°3-2025 relative aux bénéficiaires effectifs

  • Identification et vérification précise des personnes physiques contrôlant les structures
  • Enregistrement au registre des bénéficiaires effectifs
  • Coopérer proactivement avec les autorités
  • Refuser ou résilier la relation d’affaire avec le client selon les cas

LIGNE DIRECTRICE N°4-2025 relative aux Personnes Politiquement Exposées (PPE)

  • Définir qui est PEP (+ Conseil d’administration)
  • Identifier et vérifier systématiquement si un client est PEP (s’appuyer sur la base de données mises à jour)
  • Renforcer la vigilance des transactions des PEP
  • Coopérer proactivement avec les autorités
  • Refuser ou résilier la relation d’affaire avec le client selon les cas

LIGNE DIRECTRICE N°5-2025 relative aux relations de correspondance bancaire13

  • Vérifier les licences
  • Obtenir une déclaration écrite de conformité de la banque correspondante
  • Surveiller les transactions
  • Refuser ou résilier la relation en cas de risque avéré

LIGNE DIRECTRICE N°6-2025 relative aux déclarations d’opérations suspectes

  • Identifier des toutes transactionnelles inhabituelles par rapport au profil du client
  • Déclarer toute opération suspecte à l’Agence Nationale d’Investigation Financière (ANIF)
  • Renforcement des mesures complémentaires
  • Refuser ou résilier la relation d’affaire avec le client selon les cas

L’application uniformisée des principales diligences découlant du nouveau règlement anti- blanchiment entré en vigueur en juillet 2024, et ses lignes directrices qui ont suivi en mars 2025, constituent un moyen d’harmoniser davantage les textes régionaux avec les standards internationaux, et de mettre en œuvre les recommandations issues des évaluations mutuelles. L’alignement effectif aux standards du GAFI est clé pour préserver la stabilité financière, attirer les investisseurs et protéger l’intégrité du système bancaire régional.

En attendant la publication d’autres lignes directrices, la COBAC semble inscrire résolument la CEMAC dans une dynamique de conformité et de rigueur, en phase avec les exigences internationales portées par le GAFI.

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1 https://www.fatf-gafi.org/fr/publications/Recommandationsgafi/Recommandations-gafi.html

2 Le Groupe d’Action Financière en abrégé GAFI, est une organisation intergouvernementale fondée en 1989 sous l’impulsion du G7 pour initialement lutter contre le blanchiment d’argent, puis après s’est ajouté la lutte contre le financement du terrorisme. Son objectif principal est d’établir des normes internationales et de promouvoir leur mise en œuvre pour protéger l’intégrité du système financier mondial. A cet effet, il effectue des évaluations mutuelles pour vérifier la conformité des pays membres. Il identifie également les juridictions à risques en cas de lacunes graves (liste noire, liste grise).

3 C’est l’organe d supervision bancaire de la zone CEMAC. Elle adopte les règlements et lignes directrices qui s’appliquent aux établissements agréés.

4 Son entrée en vigueur en juillet 2024 est venue abrogée le premier règlement de lutte contre le blanchiment des capitaux en Afrique centrale 2005/01 du 1er avril 2005. Par contre, il vient combler les insuffisances du règlement 2016 N°01/CEMAC/UMAC/CM portant prévention et répression du blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme et la prolifération en Afrique centrale.

5 Règlement R-2023/01 du 19 décembre 2023 relatif aux diligences des établissements de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération.

6 Encore appelée “Guidance” du GAFI, les lignes directrices s’entendent comme une extension interprétative du dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération, des documents d’orientation qui aident les États, les institutions financières, les entreprises et les professions non financières à mettre en œuvre de façon efficace les recommandations des superviseurs nationaux, communautaires et même internationaux.

7 Voir à cet effet LC-COB du 25 février 2025 fixant les modalités d’application du Règlement COBAC R 2023-01 du 23 décembre 2023 relatif à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération.

8 Lesquelles feront l’objet de l’évaluation du dispositif communautaire au regard des standards du GAFI.

9 Il s’agit d’une exhortation faite par le président statutaire de la COBAC, Monsieur Yvon Bangui Sana et Gouverneur de la Banque des États d’Afrique Centrale (BEAC).

10 Les lignes directrices AML (COBAC, GAFI, Union européenne) présupposent une définition précise et juridique de l’identité.

11 FATF (2012), International Standards on Combating Money Laundering and Financing Terrorism & Proliferation.

12 FATF (2019), Guidance on Transparency and Beneficial Ownership.

13 Une annexe particulière prévoit un modèle de questionnaire à adresser aux correspondants bancaires transfrontaliers. Il y est fait également mention des bonnes pratiques.