CEMAC | AML : Que retenir des nouvelles lignes directrices de la COSUMAF en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux sur le marché financier


Par Dr ZOGO Willy


La présidente de la Commission de Surveillance du Marché Financier de l’Afrique Centrale a publiée en date du 16 septembre 2025, les lignes directrices applicables aux acteurs du Marché financier unifié. A indiquer que ces lignes ont l’avantage de placer le marché financier en orbite des dispositions du récent Règlement N°02/24/CEMAC/UMAC/CM du 20 décembre 2024 portant prévention et répression du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et de la prolifération en Afrique Centrale.

Siège de la COSUMAF (c)

D’entrée de jeu, il est indiqué que les marchés financiers sont un secteur fortement exposé au risque de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme tant les réseaux criminels exploitent la complexité des transactions financières pour dissimuler l'origine des fonds illicites. Consciente de cela, la COSUMAF a entendu jeter de « solides normes de lutte contre le blanchiment d'argent pour préserver la stabilité et l'intégrité du système financier de la CEMAC ».

NATURE JURIDIQUE NON CONTRAIGNANTE

Pour le régulateur, « (c)es lignes directrices, prévues dans le Plan d'Action de la COSUMAF, ont vocation à aider les acteurs du marché à améliorer leur participation au dispositif LBC/FT. Il s'agit avant tout d'un document à caractère pédagogique. » En d’autres termes, les lignes directrices ainsi adoptées n’ont pas d’effet contraignant du point de vue juridique.

En tout état de cause, ces lignes sont élaborées pour une prise en compte des spécificités de chaque acteur du marché selon son expertise et la connaissance qu'il a de sa clientèle et de la nature des opérations qu’il traite. Dans le même sens, la cartographie des risques sert de support à la mise en place des mesures de vigilance à mettre en œuvre.

La COSUMAF qui appelle à intensifier la formation des acteurs du marché et la diffusion des informations en matière de LBC/FT s’adresse à tous : les organismes centraux du marché ; les intermédiaires de marché ; les agences de notation financière ; les organismes de placement collectif, les sociétés de gestion et leurs dépositaires ; le fonds de garantie du marché ; les analystes financiers intervenant sur le marché ou y exerçant une activité ; les organismes de garantie des émissions et toute autre personne ou structure agréée par la COSUMAF.

OBLIGATIONS DE MISE EN PLACE D'UN DISPOSITIF INTERNE D'EVALUATION ET DE GESTION DES RISOUES

Les personnes, structures ou organismes visées doivent :

  1. Appliquer les mesures de vigilance en fonction de l'évaluation des risques présentés par leurs activités en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Ce qui implique qu’ils :
  • définissent et mettent en place des dispositifs d'identification et d'évaluation des risques de AML auxquels elles sont exposées ainsi qu'une politique adaptée à ces risques.
  • élaborent en particulier une classification des risques en question en fonction de la nature des produits ou services offerts, des conditions de transaction proposées, des canaux de distribution utilisés, des caractéristiques des clients, ainsi que du pays ou du territoire d'origine ou de destination des fonds.
  • mettent en place un dispositif d'identification et d'évaluation des risques (en cas de groupe) existant au niveau du groupe ainsi qu'une politique adaptée à ces risques.
  • tiennent compte notamment des facteurs inhérents aux clients, aux produits, services, transactions et canaux de distribution ; des facteurs géographiques, ainsi que des conclusions et recommandations issues de l'analyse nationale des risques.

  1. Mettre en place un dispositif interne (organisation par classification-cartographie des risques et de procédures internes et en plus de son évaluation) de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Ce qui implique qu’ils :
  • Déterminent un profil de la relation d'affaires permettant d'exercer la vigilance constante.
  • Déterminent l'ensemble des mesures techniques et organisationnelles mises en place pour détecter de manière pertinente les personnes et les opérations à risque et les signaler à l'ANIF.
  • Comprennent les risques LBC/FT afin d'appliquer des mesures de prévention, d'atténuation ou d'élimination des risques identifiés.
  • Mettent en place un dispositif de gestion des risques permettant de détecter les personnes et les opérations présentant ou susceptibles de présenter un risque AML.
  • Ce dispositif doit faire l'objet d'un document écrit diffusé à l'ensemble du personnel de la structure ayant pour mission de mettre en œuvre les mesures de vigilance en matière de LBC/FT.
  1. Désignent un responsable qualifié chargé de la mise en œuvre, de 1a gestion et du suivi du dispositif de AML. Ce responsable désigné doit justifier, en toutes circonstances, d'une connaissance suffisante du niveau d'exposition de la structure au risque de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.

OBLIGATIONS D'IDENTIFICATION DES RISQUES

Les acteurs ont recommandation dans ces lignes de redoubler de vigilance sur des opérations où le produit ou l'opération favorise l'anonymat ; ou si de nombreux versements sont en espèces ou si le paiement en espèces porte un montant significatif ; si le prix est anormalement bas ou élevé ; si les paiements sont en provenance de l'étranger ; si un doute est suscité sur l'origine ou la destination, notamment géographique, des fonds ou encore si l’opération met en exergue un montage complexe ou sans justification économique (multiplicité de comptes bancaires, multiplicité d'intermédiaires ou de structures, etc.).

Les mises à jour en creux de l'évaluation des risques doivent se reposer sur des informations externes comme des études et des rapports d'activité et d'analyse de l'ANIF, du GABAC, documentation du GAFI, échanges avec les autorités nationales et avec les organisations professionnelles, consultation de la doctrine, de la presse, d'internet, de bases de données, etc.

MESURES DE VIGILANCE A METTRE EN ŒUVRE FACE AUX RISOUES

Ces lignes rappellent aux acteurs et intervenants du marché de justifier, en toutes circonstances, auprès de la COSUMAF, qu'ils ont effectué les diligences nécessaires en matière de vigilance, notamment pour identifier le bénéficiaire effectif.

De manière constante, avant d'entrer en relation d'affaires ou d'assister son client dans la préparation ou la réalisation d'un investissement ou de toute autre opération sur 1e marché, le professionnel doit identifier le client, voire le bénéficiaire effectif de l'opération. Il doit notamment, d'une part, vérifier son identité sur la base d'un document officiel ou de tout document écrit probant et, d'autre part, recueillir toute information sur l'objet et la nature de l'opération envisagée.

Pour tout teneur de compte de titres (sociétés de bourse et établissements de crédit dûment agréés), l'identification du client et du bénéficiaire effectif devra intervenir avant la signature de la convention d'ouverture de compte et avant la signature d'un bulletin de souscription.

Dans le suivi de la relation d'affaires, l'acteur du marché ou l'assujetti a l'obligation de mettre à jour sa connaissance du client, afin d'apprécier la cohérence, voire la licéité, des opérations effectuées par ce dernier.

KYC CONNAISSANCE DE LA RELATION D'AFFAIRES AVANT L'ENTREE EN RELATION

La COSUMAF s’aligne sur l’article 20 Règlement CEMAC/UMAC du 20 décembre 2024 qui dispose que : « avant d'entrer en relation d'affaires avec leur client ou de l'assister dans la préparation ou la réalisation d'une transaction, les assujettis au Règlement AML identifient leurs clients qu’il s'agisse de personnes physiques, de personnes morales ou de constructions juridiques et, le cas échéant, le bénéficiaire effectif de la relation d'affaires, par des moyens adaptés et vérifient les éléments d'identification sur présentation de tout document écrit probant, y compris des données ou informations issues de sources fiables et indépendantes. »

Dans ce sens, l’article 94 du Règlement Général de la COSUMAF indique que « avant d'entrer en relation d'affaires avec leur client ou de l'assister dans la préparation ou la réalisation d'une transaction, les acteurs ou intervenants du marché : identifient le client et vérifient son identité au moyen de documents, données et informations de sources fiables et indépendantes ; identifient le bénéficiaire effectif et prennent des mesures raisonnables pour vérifier son identité de manière à écarter tout doute sur l'identité du bénéficiaire effectif. S'agissant des personnes morales et des constructions juridiques, les acteurs et intervenants du marché doivent, en toute circonstances, comprendre la structure de propriété et de contrôle du client ; doivent comprendre et, le cas échéant, obtenir des informations sur l'objet et la nature de la relation d'affaires envisagée ; doivent exercer une vigilance constante à l'égard de la relation d'affaires et assurer un examen attentif des opérations effectuées pendant toute la durée de cette relation d'affaires, afin de s'assurer qu'elles sont cohérentes notamment avec le profil de risque du client ».

Concrètement, lorsque le client est une personne physique, l’acteur se conforme en recueillant ses nom et prénoms ainsi que des date et lieu de naissance et lorsque le client est une personne morale, en recueillant sa forme juridique, sa dénomination, son numéro d'immatriculation et l'adresse de son siège social.

Si le client est un organisme de placement collectif dépourvu de personnalité morale (ex. Fonds commun de placement), en recueillant sa dénomination, sa forme juridique, les références de son agrément, son numéro international d'identification des valeurs mobilières (code ISIN), ainsi que la dénomination, l'adresse et les références de l'agrément de 1a société de gestion qui le gère.

 

KYC CONNAISSANCE DE LA RELATION D'AFFAIRES PENDANT LA RELATION

Pendant toute la durée de 1a relation d'affaires, ces personnes recueillent, mettent à jour et analysent les éléments d'information, à cet effet, par une autorité compétente, qui permettent de conserver une connaissance appropriée de leur client. La collecte et la conservation de ces informations doivent être réalisées en adéquation avec les objectifs d'évaluation du risque de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme et de surveillance adaptée à ce risque.

À tout moment, ces personnes doivent être en mesure de justifier aux autorités de contrôle l'adéquation des mesures de vigilance qu'elles ont mises en œuvre aux risques AML.

Il est interdit de tenir des comptes anonymes ou des comptes sous des noms fictifs et aussi il faut mener une rupture de la relation d'affaires lorsque les informations disponibles ne permettent pas/plus de garantir clairement l'identification des clients et, en conséquence, il ne faut plus exécuter aucune opération.

 

PERSONNES POLITIQUEMENT EXPOSEES (PPE)

Les PPE (nationales et étrangères) sont des personnes physiques qui exercent ou qui ont exercent  d'importantes fonctions publiques dans un autre Etat membre ou un Etat tiers, à savoir notamment les Chefs d'Etat ou de Gouvernement, les Ministres, les Ministres délégués et les Secrétaires d'Etat ; les Secrétaires Généraux, Directeurs de Cabinets, Directeurs Généraux des Ministères et assimilés ; les parlementaires ; les responsables de partis politiques, les membres des cours suprêmes, des cours constitutionnelles ou d'autres hautes juridictions ainsi que les autres magistrats ; les dirigeants ou membres de l'organe de direction d'une banque centrale ; les ambassadeurs, les chargés d'affaires, les consuls ; les officiers généraux ou officiers supérieurs de la force publique ; les membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance des entreprises publiques ou para publiques ; les dirigeants d'une institution internationale publique créée par un traité ; les personnes connues pour être étroitement associées aux PPE désignées comme les membres de la famille d'une PPE.

 

MENACES PESANT SUR LE MARCHE FINANCIER

La COSUMAF a esquissé une cartographie des menaces pesant sur le marché financier de la CEMAC. Il s’agit de l’origine illégale des fonds ; de la commercialisation de produits atypiques ou non autorisés ; des fraudes et escroqueries diverses ; de la corruption ; des détournement de fonds ; des nouvelles technologies « Fintechs » et actifs virtuels (notamment usage abusif d'une société commerciale à des fins d'escroquerie à travers le trading d'actifs virtuels) ; des plateformes de financement participatif ou encore des nouveaux moyens de paiement.