CEMAC : La Finance Islamique désormais objet d’un cadre réglementaire


Robert Olivier MBOUDOU


Le Comité ministériel de la CEMAC réuni le 09 novembre 2022 à Bangui a adopté le règlement n°-04/22/CEMAC/UMAC/COBAC relatif aux conditions d’exercice et de contrôle de l’activité de finance islamique dans la CEMAC. Ce texte est applicable aux établissements de crédit et de microfinance  qui exercent l’activité de finance islamique dans les Etats membres de la CEMAC, à leurs dirigeants, leurs commissaires aux comptes et à leurs comités de conformités. Comprendre !

La finance islamique dans la CEMAC a longtemps opéré dans l’opacité, car il n’existait pas de cadre juridique et réglementaire pour l’exercice de ce type de finance particulier.  Toutefois au vu de l’émergence, du développement et du dynamisme de ce secteur d’activité de la finance qui constitue, une source de financement complémentaire à la finance conventionnelle en CEMAC. Il devenait ainsi urgent et impérieux en considération de l’attractivité et de la stabilité du marché financier islamique conditionné par l’harmonisation des produits et des pratiques financières dudit marché de mettre en place  une réglementation particulière adossée à la culture de cette finance.

Cela n’étant possible que par l’assurance de sa convergence vers les standards internationaux en la matière, en particulier à ceux de l’AAOIFI : organisation d’audit et de comptabilité des institutions financières islamiques dont le siège se trouve à Barhein et qui est chargée de l’élaboration et de la diffusion des standards charia, gouvernance et éthique pour l’industrie internationale de la finance islamique d’une part et à ceux de l’IFSB : conseil des institutions financières islamiques dont le siège se trouve en Malaisie qui est un organe international de standardisation qui encourage et renforce la solidité et la stabilité du secteur financier islamique à travers, l’émission des normes prudentielles internationales et des principes directeurs à destination des autorités de supervision.

 

Présentation sommaire des activités de la finance islamique

L’activité de finance islamique désigne tous produits, services, transactions et opérations commerciales, financières, d’investissements commercialisés ou réalisés à titre habituel par un établissement de crédit assujetti, reposant sur les principes suivant : interdiction de perception ou de versement d’intérêts ; interdiction de l’incertitude ou de la spéculation ; interdiction d’investir dans les activités illicites ; adossement à des actifs tangibles ; partage des profits et des pertes.

 Parmi ces activités nous pouvons citer en premier quelques produits offerts par la finance islamique pour le financement de sa clientèle à savoir :

  • Le Moucharaka : contrat par lequel un établissement assujetti et un client mettent en commun des capitaux pour réaliser un projet d’investissement déterminé.
  • Le Mourabaha : contrat de vente d’un bien déterminé meuble ou immeuble conclu entre un établissement assujetti propriétaire dudit bien et un client au prix fixe constitué d’un coût d’acquisition augmenté d’une marge bénéficiaire convenu d’avance et dont le paiement est effectué selon les modalités convenues d’avance entre les partie. Nous avons entre autres le Ijara, le Salam, le Moudaraba etc…

En deuxième lieu, les établissements assujettis à la finance islamique peuvent recueillir des fonds  de leurs clients sous forme de dépôts à vue au titre de leurs activités ou des dépôts d’investissement islamique qui sont des fonds recueillis auprès de la clientèle en vue de leur placement dans les projets d’investissement.

Toutefois , ces produits et services d’investissement proposés par les établissements assujettis  doivent au préalable recevoir un certificat de conformité délivré par leur comité de conformité qui, lui-même  doit recevoir un avis de non objection de la COBAC préalablement à l’émission de tout certificat de conformité concernant les produits et services que l’établissement assujetti souhaite  fournir à sa clientèle.

 

Les conditions d’accès à l’exercice de l’activité de finance islamique

Les établissements assujettis peuvent exercer une activité de finance islamique à titre exclusif ou à titre partiel. L’exercice à titre exclusif de l’activité de finance islamique sur le territoire de l’un des Etats membres de la CEMAC est subordonné à un agrément de l’Autorité monétaire nationale délivré après avis de la COBAC. Ainsi au-delà des produits et services cités plus hauts, ces établissements assujettis peuvent offrir à leurs clients des opérations connexes telles que : les opérations de change ; la location des compartiments des coffres forts ; le conseil et l’assistance en matière financière.

Toutefois, il faut noter que sous réserve des exceptions du présent règlement ou des textes subséquents, les conditions et les modalités d’agrément des établissements de crédit et de microfinance exerçant à titre exclusif l’activité de finance islamique, ainsi que leurs dirigeants et commissaires aux comptes sont celles fixées par :

  • Le règlement N°02/15/CEMAC/UMAC/COBAC modifiant et complétant certaines dispositions relatives à l’exercice de la profession bancaire et dans la CEMAC et ses textes subséquents pour les établissements de crédit ;
  • Le règlement N°01/17/CEMAC/UMAC/COBAC relatif à l’exercice et au contrôle de l’activité de microfinance dans la CEMAC et ses textes subséquents pour les établissements de microfonance.

Par ailleurs la COBAC assure la cohérence entre les activités pour lesquelles l’agrément est sollicité, la stratégie proposée, le programme d’activité mis en œuvre et les moyens envisagés par le requérant et l’adéquation des fonds propres au profil du risque. Le dossier d’agrément est fixé règlement de la COBAC.

Pour les établissements de crédit exerçant une activité de finance islamique à titre partiel, ils doivent le faire à travers une structure dédiée appelée « fenêtre islamique ». L’ouverture de cette fenêtre islamique par un établissement de crédit ou un établissement de microfinance agréé est soumise à une autorisation préalable de la COBAC. Les conditions et les modalités d’octroi de l’autorisation  préalable visée sont fixées par la COBAC.

 

Dispositif de conformité de l’activité de finance islamique

Il est demandé à chaque établissement assujetti de mettre en place un comité de conformité des opérations de finance islamique ayant pour mission :

  • De statuer sur la conformité des activités de finance islamique selon la règlementation de finance islamique désormais en vigueur ;
  • D’examiner et valider la documentation et les diverses procédures relatives aux opérations, transactions et services de finance islamique ;
  • D’émettre des certificats de conformité ;
  • De proposer des mesures correctives pour des anomalies détectées et pour les transactions considérées non conformes à la règlementation de finance islamique en vigueur. Les conditions, les modalités d’organisation et de fonctionnement du comité de conformité sont elles aussi fixées par la COBAC.

 

Le fonds de garantie des dépôts de l’Afrique centrale (la FOGADAC) dans tout son rôle

La FOGADAC n’est pas en reste dans le processus d’encadrement de finance islamique dans la CEMAC, elle devra ouvrir un compartiment à la finance islamique, compartiment appelé « fenêtre islamique du FOGADAC » chargée de :

  • d’indemniser les épargnants des établissements assujettis en cas d’indisponibilité de leur dépôts recueillis dans le cadre de l’activité de finance islamique ou des autres fonds remboursables ;
  • d’apporter un concours à un établissement assujetti exerçant une activité de finance islamique ou à travers une fenêtre dont la situation laisse craindre dans les plus brefs délais une indisponibilité totale ou partielle des dépôts. La fenêtre islamique de la FOGADAC est gérée selon les textes actuellement en vigueur à la FOGADAC.

 

 Le dispositif de règlementation, de supervision et de contrôle de finance islamique

La COBAC prend des règlements, instructions, lettres circulaires et décisions pour l’application du présent règlement CEMAC. Elle fixe notamment pour les établissements assujettis les règles relatives au gouvernent d’entreprise, au mode d’administration  et de gestion, aux normes garantissant la liquidité, la solvabilité et l’équilibre de leur situation financière et la pérennité de leurs activités. Elle fixe aussi les normes de surveillance et de contrôle interne et externe, sur pièces et sur place. La COBAC fixe par ailleurs la liste, la teneur, les modèles, la périodicité, les modalités et les délais de transmission des documents que les établissements assujettis sont tenus de lui adresser.

L’autorité monétaire nationale quant à lui prend après avis du Conseil National Economique et Financier les décisions relatives aux conditions d’implantation des agences et des guichets. La BEAC enfin assure la centralisation des informations sur les risques portés par les établissements assujettis et fixe sur avis de la COBAC le contenu des informations, les périodicités et les délais de transmission des documents y afférents.

Le secret professionnel n’est pas opposable à la COBAC, à la BEAC ni à l’autorité monétaire dans l’exercice de leurs missions.

Les établissements assujettis au présent règlement qui ne satisfont pas dans les délais impartis aux obligations suscitées et dont la COBAC relèverait des dysfonctionnements de gestion au cours de ses contrôles encourent des sanctions disciplinaires ou pourront être frappés des mesures d’assainissement ou de restructuration prévues par le règlement COBAC relatif au traitement des établissements de crédit en difficulté dans la CEMAC.

Périodes transitoires

Ce règlement relatif à l’activité de finance islamique tombe à point nommé et on l’espère est reçu avec beaucoup d’enthousiasme les professionnels de la finance en général et par ceux de la finance islamique en particulier, car depuis longtemps cette finance s’exerce par certains établissements assujettis sans aucun encadrement juridique proprement dit. Il était temps de s’appesantir sur son organisation, son fonctionnement et son encadrement.

Ce règlement entre en vigueur le 1er janvier 2023 et laisse par conséquent une période transitoire de 2 ans aux établissements de crédit en activité qui fournissent déjà les produits et les services de finance islamique à la date d’entrée en vigueur du présent règlement pour se conformer aux nouvelles dispositions. Un délai de 12 mois aux entreprises exerçant dans la CEMAC une activité de finance islamique à titre habituel sans agrément en qualité d’établissement de crédit ou de microfinance pour solliciter un agrément à compter de l’entrée en vigueur du présent règlement sinon elles seront fermées d’office.