Dans la pratique, l’investissement dans le capital social ou dans les titres de créance des entreprises de petite, moyenne et même de grande taille est une réalité au Cameroun. Cette activité qui est certes marginale semble s’orienter de plus en plus vers une professionnalisation, toute chose qui soulève la question de la réglementation applicable.
C’est dans cet environnement qu’en 2021, la startup BEE a pu lever un montant de 80 000 euros, soit plus de 50 millions de FCFA. Ces fonds correspondant à une sorte de capital-développement lui ont été attribués dans le cadre d’un réseau de Business Angels. En effet, dans le communiqué officiel explicitant les contours de ce financement, il ressort que « Bee a rejoint officiellement les startups accompagnées par la Tech Hub activSpaces, qui les met en liaison avec son partenaire Cameroon Angel Network (CAN) ».
Le schéma de financement correspond à un tour de table dans lequel le CAN a injecté 20?000 euros (un peu plus de 13 millions de FCFA) accompagné de Catalytic Africa, nouveau fonds de dotation mis en place par l’African Business Angles Network (ABAN). Ce dernier acteur implémente depuis quelques années cette technique d’investissement consistant à faire un matching fund de 3 fois la somme investie par le Business Angels initiateur. C’est cette configuration qui a porté l’investissement total à 80?000 euros, ce qui correspond au premier investissement de ce fonds en Afrique francophone, depuis son lancement.
Mécanisme spécifique d’investissement
Pour comprendre cette levée de fonds, il faut d’entrée de jeu comprendre que le fonds Catalytic Africa est un fonds qui a été créé par ABAN et AfriLabs “dans le but de soutenir l’écosystème africain des startups de la manière la plus efficace et la plus significative possible tout en offrant un impact réel et mesurable aux parties prenantes“.
Dans une formule multipartite, les entrepreneurs, les startups, les hubs et les investisseurs providentiels (Business Angels) sont soutenus par le fonds qui fournit aux start-ups et aux business angels une subvention de contrepartie. Concrètement, pour chaque investissement en capital d’un business angel dans une start-up, le fonds fournit un financement sous forme de subvention à la start-up afin de dé-risquer l’investissement du Business Angel en permettant à la start-up de disposer de fonds pour mener à bien son projet.
Dans la pratique, ces subventions de contrepartie sont accordées selon des ratios précis. Soit le Business Angel investit un montant inférieur ou égal à 10 000 € – soit 6.500.000 FCFA, alors le fonds de contrepartie fournit 2 fois plus de financement en subvention à la start-up. Soit le Business Angels investit un montant supérieur à 10 000 €, dans ce cas, le fonds de contrepartie fournit un montant 3 fois plus important sous forme de subvention à la start-up. Mais, dans tous les cas, le financement maximum du fonds de contrepartie est de 60 000 € par start-up – soit 40.000.000 FCFA et la subvention de démarrage ne se traduit pas par des fonds propres, mais est utilisée comme une subvention sans fonds propres directement pour les start-up.
Les fonds mobilisés sont distribués de sorte que :
- 82,5 % sont versés à la startup par une déboursement en fonction des étapes réalisées ;
- 10% versés au hub (ActivSpace pour le cas de BEE) ;
- 5% à l’équipe du programme Catalytic Africa comme contribution à la gestion du programme et de la plateforme, y compris les frais administratifs (par exemple KYC, AML/CFT) associés au déboursement des fonds et
- 2,5% au réseau d’investisseurs providentiels pour aider à couvrir certains des coûts administratifs liés à la participation de leurs membres au programme (par exemple, la diligence raisonnable).
Notons que le rôle de ActivSpaces dans ce mécanisme de capital-investissement consiste aux vérifications et validations indépendantes des progrès des startups pendant 36 mois. Le Hub commence par la vérification de l’investissement providentiel dans la startup, puis fournit à l’équipe du programme et aux partenaires des rapports trimestriels sur les progrès de la startup.
In fine, relevons que toutes les startups (comme BEE) sollicitant ce fonds doivent avant tout justifier avoir reçu un financement préalable par des investisseurs providentiels qui sont eux-même membres d’un réseau d’investisseurs providentiels affilié à l’ABAN.
Par ailleurs, indiquons que comme le CAN, le Cameroun compte d’autres regroupements de BA reconnus par l’ABAN, il s’agit de 237 Business Angels et de Canestech.
Quel droit pour les Business Angels au Cameroun ?
La question se pose, quelles sont les règles qui régissent l’investissement d’un Business Angel dans des startups installées au Cameroun ? La pertinence de cette question trouve déjà son fondement dans l’urgence de définir même le statut d’Investisseurs providentiels.
En tout état de cause, en attendant l’émergence d’un cadre juridique Ad Hoc, il est constant que le Business Angel est une personne physique qui décide d’investir une partie de son patrimoine financier dans des sociétés innovantes à fort potentiel, de leur apporter sa forte expérience entrepreneuriale, son carnet d’adresses et des conseils d’appoint en vue de dégager une plus-value substantielle via son investissement.
Dans cette occurrence, le BA est un capital-investisseur (très probablement un capital-risqueur) à l’échelle individuelle différent des Fonds de capital-investissement et de capital-risque soumis bientôt à la réglementation du marché financier et au régime d’agrément de la Commission de Surveillance du Marché Financier (COSUMAF).
D’une part, étant donné que la startup est une société commerciale qui doit choisir une forme légale ( SCS, SARL, SA ou surtout SAS), il va sans dire que le Droit de l’OHADA a vocation à régir les titres émis soit de capital ( les actions – numéraires, privilégiées), de créances (obligations) ou composés ainsi que leur circulation ( clauses liées à la préemption).
Dans ce sens, le cabinet d’avocats Epena Law en partenariat avec l’ABAN proposent une documentation juridique d’investissement pour start-ups en français et conforme au droit OHADA. Un travail qui a été mené par l’avocate spécialiste Johanna Monthe et Tatiana Nkoungou (Epena Law) ainsi que Hannah Subayi Kamuanga et Fadilah Tchoumba (ABAN) et qui s’appuie sur des modèles de bulletin de souscription d’actions, des conventions d’obligations convertibles, de pactes d’actionnaires, de protocole d’investissement ou encore de Term sheet (BSA AIR et Obligation Convertible).
Cependant, il ne faut guère ignorer les règles de placement privé, d’appel public à l’épargne fixées par le régulateur du marché financier ou encore les règles liées au crédit avec intérêt ou encore avec des garanties, dans lequel cas, la réglementation bancaire et la Commission bancaire ont nécessairement vocation à intervenir.
Willy ZOGO